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Vol South African Airways 295 : Maldonne à Pretoria

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Durant les années quatre-vingt, le gouvernement Sud Africain était de plus en plus isolé sur la scène internationale. L’hostilité grandissante contre l’apartheid avait atteint un tel point que la compagnie nationale était interdite d’atterrissage et de survol dans de très nombreux pays. En 1986, les États-Unis adoptent une dure loi de sanctions contre l’Afrique du Sud et ce malgré le veto de Ronald Reagan ; une première. Quelques mois plus tard, c’est l’Australie qui passe une résolution similaire. Les vols vers Sydney, Perth, New York ou Houston sont suspendus. Les pays africains interdisent également l’atterrissage et le survol de South Africain Airways.

Rapidement, le pays sombre dans la récession. Pour importer de la marchandise, il faut aller de plus en plus loin et les escales ne sont pas permises. Afin de rejoindre les aéroports Européens comme ceux de Paris, Londres, ou Amsterdam, le seul chemin politiquement possible exigeait un contour de toute l’Afrique. A l’époque des Boeing 707 et autres 747-200, les Sud Africains avaient même financé l’agrandissement d’un aéroport aux iles du Cap Vert. Avec une magnifique piste de 3300 mètres, il a même été sélectionné par la NASA comme lieu d’atterrissage de la navette spatiale. Il tomba dans l’oubli quand le 747-400 fut mis en ligne et permit de faire le détour sans escale.

 

Cap Vert - Amilar Cabral
Aeroport Amilar Cabral. Longtemps une escale vitale pour SAA
 

 

Pour un maximum de flexibilité, une version spéciale du 747 était utilisée. Dit Combi, l’avion avait la cabine divisée en deux compartiments séparés par une cloison. A l’avant, étaient installés les passagers. Leur nombre dépendait de la division retenue pour l’avion et du nombre de palettes transportées. A l’arrière, un compartiment cargo pouvait contenir de 6 à 12 palettes.

Miné au nord par une guerre dont les ramifications historiques s’étendaient jusqu’aux confins de la Première Guerre Mondiale, le pays avait un urgent besoin d’armes. A cause de l’embargo, il fallait aller les chercher de plus en plus loin. Depuis toujours, les Etats dans cette situation ont utilisé des véhicules de transport civil pour faire de la contrebande d’armes. Quand les choses se passent mal, on met des décennies à découvrir la vérité. Par exemple, quand le Lusitania fut coulé par un sous-marin allemand en Mai 1915 provoquant la mort de près de 1200 passagers civils, les Britanniques crièrent pendant longtemps au crime de guerre en occultant leur propre part de responsabilité dans le désastre. Cette tragédie est souvent classée en seconde position après celle du Titanic qui survint 3 ans plus tôt.

Le Lusitania reçut une seule torpille qui provoqua une première explosion. Une seconde explosion bien plus puissante secoua le navire immédiatement après. Elle fut décrite par un passager comme un coup reçu par « un marteau d’un million de tonnes ». Que transportait le navire ? Que des denrées alimentaires comme le spécifiait le manifeste de chargement ? En tout les cas, il coula en 18 minutes ne laissant à la surface que des corps flottants que les pêcheurs ramenaient à la Cunard contre espèces sonnantes et trébuchantes.

Dans les années cinquante, la Royal Navy se rend sur site et fait couler des tonnes de bombes en profondeur. Tirant au jugé, ils espéraient réduire en poussière l’épave et avec elle les preuves d’un écheveau de mensonges. Malgré cela, des explorations très superficielles réalisées en 2008 ont permis de retrouver plus de 4 millions de pièces de munition de calibre .303.

Le vol SAA 295 :
27 novembre 1987 – Le Boeing 747-200 Combi avait décollé de l’aéroport de Chiang Kai Shek International sur l’ile de Taiwan. Sa destination, Johannesburg, était a plus de 12500 kilomètres de la après un long vol presque en intégralité au-dessus de l’océan. Une escale technique est prévue à l’Ile Maurice peu avant d’entamer le dernier quart du voyage.

 

Vol du SAA 295
La plus grande partie du vol se passe au-dessus de l’ocean Indien.
 

 

La cabine est divisée en deux sections. A l’avant, il y a 140 passagers et 19 membres d’équipage. A l’arrière, 6 palettes de fret ont été disposées. Les deux compartiments sont séparés par une cloison et une porte.

Il est presque minuit, l’équipage prépare la prochaine escale quand de la fumée se manifeste à bord. En même temps, les PNC alarmés annoncent avoir découvert un feu dans le compartiment de fret. Le commandant de bord appelle le contrôleur aérien sur l’Ile Maurice et l’informe de la situation et se déclare en urgence. Il est autorisé à descendre au niveau 140 mais il avait déjà commencé la descente avant la bénédiction du contrôleur. Ce dernier demande sa distance à l’équipage, mais celui-ci ne peut pas la donner, leur équipement DME ne marche plus. Les uns après les autres, leurs instruments s’arrêtent de fonctionner. Ils finissent tout de même par estimer qu’il leur reste environ 30 minutes de vol pour rejoindre l’aéroport.

Dans la cabine passagers, c’est le désastre. La fumée toxique arrive par le système de recirculation d’air. Celui-ci est lancé par les pilotes qui suivent la check-list qui leur semble appropriée pour la situation. Pourtant, il y a un gros défaut sur le 747 Combi : l’air recyclé est capté non seulement en cabine passagers, mais également en zone fret. Le résultat est que les fumées nocives sont propagées encore plus que si ce système n’avait pas été utilisé.

Remarque : la bonne démarche n’est jamais évidente en situation d’urgence. Sur la base de peu d’informations disponibles et sous une très forte pression temporelle, l’équipage doit décider d’activer ou non certains systèmes. C’est juste un bouton à tourner ou pas. Le résultat de l’action ou de l’inaction peut être fatal. Notez que le pilote du Swissair 111 précipita le sort de son MD-11 en faisant exactement l’opposé : Il a arrêté les fans de recirculation. Pour cette raison, les check-lists d’urgence doivent être complètes et tenir compte de toutes les situations. C’est loin d’être le cas même aujourd’hui.

Le personnel de bord décide d’attaquer le problème à la source. Armés d’extincteurs, les stewards et les hôtesses ouvrent la porte de séparation et tentent d’éteindre l’incendie. Leur équipement est trop sommaire et la chaleur atteint un niveau qui les fait reculer. Lors de ce retrait, l’un d’eux perd son extincteur sans avoir pu l’utiliser.

Les choses s’aggravent de plus en plus vite. Il ne s’agit plus de tousser ou d’avoir mal aux yeux, certains passagers suffoquent et sont au bord du trépas. Pour d’autres, c’est déjà fini, ils sont morts. La fumée s’accumule de plus en plus et enveloppe tout. L’équipage décide de tenter une ultime manœuvre : ouvrir une porte en vol. L’avion est dépressurisé et la vitesse réduite à 250 nœuds. De l’air commence à s’engouffrer dans la cabine…

Trois minutes plus tard, le 747 s’écrase dans les eaux glacées de l’Océan Indien tuant tous ses occupants.

Les appels du contrôleur aérien résonnent dans le vide. Sur la zone du crash, des millions d’objets commencent une lente descente vers le fond marin à 4400 mètres de profondeur. D’autres, flottent et dérivent dans la nuit au hasard des courants.

Les recherches :
Au matin du 28 novembre 1987, le monde est sous le choc en apprenant la nouvelle. Tout espoir de trouver des survivants semble être perdu alors qu’un Orion P3 est envoyé depuis la base US de Diego Garcia pour ratisser les lieux.

Une première zone de débris est localisée à environ 227 kilomètres au large de l’Ile Maurice. Bientôt, deux autres zones sont localisées. Certains pensent que seule une explosion en vol peut expliquer cette dispersion. Pour d’autres, il s’agit d’un simple effet de courants marins. Le débat entre les deux clans fait rage jusqu’à nos jours. La première option est néanmoins contestée par Boeing pour qui l’avion a touche l’eau en une seule pièce.

Des corps commencent à être repêchés. Les analyses montrent que ces personnes sont mortes après avoir inhalées des fumées toxiques. L’une d’elle a été exposée a du monoxyde de carbone à une concentration de 66%. Cette dose est mortelle en quelques inspirations. Une concentration de CO d’à peine 0.64% provoque des convulsions, un arrêt respiratoire et la mort en moins de 20 minutes.

Sans illusions sur leur gouvernent, les Sud Africains commencent à se poser des questions sur contenu des 47 tonnes de fret qui se trouvaient dans le Boeing. Dans certaines capitales, les agences de la compagnie SAA sont saccagées.

Pendant ce temps, les images ressemblent à celles qu’on a vues lors des recherches de l’Airbus d’Air France au large du Brésil. Des avions et des navires sillonnent la mer dans tous les sens et des qu’un objet est repéré, l’endroit est marqué et les opérations de récupération sont entreprises.

Une mallette est repêchée avec trois montres à l’intérieur. L’une fonctionne encore. Elle est au fuseau de Hong Kong, l’origine du vol. Une autre est cassée mais on peut clairement voir que sa grande aiguille est arrêtée sur 7 minutes. La troisième est arrêtée mais moins endommagée indique l’heure exacte de l’accident, soit 7 minutes après minuit en heure locale. Ceci signifie que l’avion a volé encore 3 à 4 minutes après l’interruption des communications avec le contrôleur aérien.

Un équipement lourd est envoyé depuis les USA afin d’aider à la localisation des enregistreurs de vol. Ces boites sont équipées d’émetteurs de 4 km de portée qui sont alimentés par des batteries dont la durée de vie garantie est de 30 jours. Quand les équipes américaines sont sur place, il ne reste plus qu’une petite semaine d’autonomie théorique. Ce qu’on cherche, est une demi-sphère de 8 km de diamètre reposant sur le fond marin. Si on rentre dans cette demi-sphère, on capte les pings et on a toutes les chances de trouver la boite noire. Cependant, la zone à quadriller est telle que l’échec de la recherche n’est une surprise pour personne.

 

Recherche CVR et DFDR
L’emetteur au fond a une portee de 4 km. Il forme donc un
objet virtuel en forme de demi-sphere de 8 km de diametre. C’est ce qu’on cherche.
 

 

La demi-sphère n’est pas si parfaite que ca, les sons ne propagent pas de manière régulière dans le fond marin. D’ailleurs, au lieu de retrouver 2 pings puisqu’il y a deux émetteurs, un pour le DFDR et un pour le CVR, les chercheurs capteront 32 pings dont 13 semblent valides.

 

Pour autant, les recherches ne sont pas abandonnées. Elles sont poursuivies par des équipes sous contrat. Un bateau tracte un sonar à balayage latéral (SSS) au bout d’un câble de 9 km de long. L’appareil envoi des ondes sonores qui se réfléchissent sur le fond marin. Les ondes réfléchies sont captées et analysées. Ce retour permet à un ordinateur de faire un dessin étonnamment précis du fond balayé.

 

SSS principe
Principe de recherche au SSS: un navire tire un poisson en acier qui contient le sonar.
 

 

 

Sonar de type SSS
Exemple d’equipement pour une recherche SSS.
 

 

 

Sonar de type SSS
Pont tombe a l’eau et ici cartographie au SSS.
 

 

 

Cessna retrouve au SSS
Exemple d’un Cessna retrouve au SSS.
 

 

Une fois que des zones dignes d’intérêt on été localisées, un navire traine un petit sous-marin qui les filme et renvoie des images à travers une fibre optique. Le défi technique est à la hauteur de l’importance de la mission. Même le Titanic n’est pas à une si grande profondeur.

Retrouvé au large de Mistaken Point par l’explorateur Robert Ballard en septembre 1985, le RMS Titanic gisait à une profondeur de 3800 mètres alors qu’il y avait une incertitude de l’ordre de quatre cents kilomètres carrés quant à sa position sur le fond marin. Pour le Boeing, on avait le même niveau d’incertitude sur la position mais le fond était à plus de 4400 mètres.

Les premières images remontées font surtout la joie des scientifiques. Au hasard des pérégrinations de son étroit faisceau lumineux, le robot capte les images de créatures étranges filmées pour la première fois. Depuis des millions d’années qu’elles peuplent les abysses marins, personne n’est jamais venu leur rendre visite depuis la surface. Surface qui, techniquement parlant, est presque aussi éloignée qu’une autre planète.

Ce ratissage systématique dure des mois pour une facture qui gonfle à chaque minute. Plusieurs équipes de différents pays occupaient le terrain en continu. Alors qu’elles sont sensées coopérer pleinement, c’est plutôt un esprit de compétition qui règne. En effet, il y avait deux contrats distincts. Le premier pour retrouver l’épave, le second pour sa récupération. Les intervenants vivaient dans l’impression que celui qui trouve le premier est assuré de signer pour la seconde manche.

Soudain, dans le faisceau lumineux se révèle un sinistre enchevêtrement de métal et de débris en tout genre. Le 747 immatriculé ZS-SAS vient d’être localisé ! C’est un véritable coup de maitre. Même un Boeing de cette taille, c’est peu de chose dans l’immensité de l’Océan Indien quand on ne sait pas exactement où chercher.

 

Decouverte de Boeing du vol SAA 295
C’est l’arriere de l’avion photographie par un sous-marin teleguide.
 

 

 

Decouverte de Boeing du vol SAA 295
Train d’atterrissage
 

Decouverte de Boeing du vol SAA 295
Meme le pneu porte les traces de l’impact. Normalement
un train d’atterrissage flotte. Celui-ci est deja plein d’eau.
 

 

La pression qui règne à 4400 mètres est supérieure à la pression de gonflage du pneu. Si celui-ci reste attaché à une structure lourde qui le force à couler, il est écrasé au fur et a mesure qu’il descend puis il implose, se remplit d’eau et reprend sa forme initiale. Il y a environ 14 bars dans le train d’atterrissage d’un Boeing 747, c’est la pression qu’on retrouve vers 130 mètres de profondeur seulement. Ici nous sommes à 4400 mètres.

 

 

Decouverte de Boeing du vol SAA 295
Plancher du compartiment cargo
 

 

L’équation n’est pourtant pas si simple. Il y a plusieurs champs de débris. En coulant, les différents objets sont comme triés par le leur passage à travers les 4400 mètres d’eau. Au fond, une équipe Allemande découvre une zone ou gisent des enveloppes, du courrier, des papiers, des imprimés, des cartons, des emballages en papier… Plus de 90 km plus loin, ont atterri des jouets en plastique, des bouteilles en verre et des alliages en métal léger. La position du troisième champ, celui des pièces les plus denses, est estimée en fonction de ce qui a été déjà trouvé.

 

Decouverte de Boeing du vol SAA 295
Depuis le point d’impact, les debris ont un parcours different en fonction
de leur poids. Les plus lourds tombent vite et presque verticalement. Les plus
legers derivent le plus loin. Le resultat est un veritable tri
 

 

Cette approche scientifique du problème paye. Un an après le drame, une des boites noires est trouvée reposant sur le sable marin. Le bras articulé la soulève et quelques heures plus tard, elle est à la surface sous les applaudissements. Il s’agit du CVR qui doit contenir les 30 dernières minutes de conversation au niveau du cockpit. Grace à son micro d’ambiance, il peut aussi capter le son des alarmes, des bruits anormaux ou des explosions. Afin d’éviter toute spéculation dans une ambiance déjà délétère, les enquêteurs embarquent immédiatement l’enregistreur vers les laboratoires du NTSB aux USA. Le bureau d’enquêtes américain sert de partenaire technique, mais surtout de tiers de confiance dans cette affaire ou le public soupçonne de plus en plus le gouvernement de Pretoria de cacher des choses.

 

Decouverte de Boeing du vol SAA 295
Le bras articule recupere le CVR
 

 

Sur le terrain, les enquêteurs continuent à remonter ce qu’ils trouvent alors qu’une reconstitution de l’avion, au moins partiellement, est entamée. Une structure grillagée représentant un Boeing 747-200 en taille 1:1 est réalisée puis les pièces récupérées sont fixées dessus au fil de fer après un travail d’identification où le moindre détail compte. Un numéro de série, une peinture, une déchirure particulière… permettent d’assembler ce puzzle géant.

 

Decouverte de Boeing du vol SAA 295
747 en cours de reconstruction.
 

 

Il faut se retrouver dans un hangar contenant les débris d’un avion de ligne ayant percuté la mer pour se rendre compte de la puissance du choc. C’est peut être un fragment sur 10, 20 ou 50 qu’on arrive à identifier au bout d’une minute de contemplation. Le reste ce n’est que des pièces au sens hermétique. On dirait que l’avion est passé dans un immense hachoir et que ce qui en est sorti a été mélangé et repassé encore. Des vérins hydrauliques gros comme le bras sont cassés net. Des superstructures sont pliées autour de plusieurs axes. L’aluminium qui les recouvrait est pellé comme on pelle une orange. Les fils électriques forment des nattes sauvages rappelant un palangrier emmêlé à l’extrême. Ils sont rangés dans des bassines ou de grands sacs poubelles gerbés jusqu’au plafond.

Des milliers de fragments en fonte sont rangés pelle mêle dans des caisses en bois très lourdes. Ne demandez pas ce que c’est. Personne ne sait. Est-t-on au moins sur que ça eut appartenu a un avion ? Même pas. Les objets n’ont pas été remontés parce qu’on les a identifiés. Ils ont été remontés parce qu’on a pensé qu’ils ont du être fabriqués par une intelligence humaine. On irait chercher l’Atlantide ou des traces de vie supérieure sur une autre planète, on ne s’y prendrait pas autrement.

On dit à la rigueur « un réacteur », mais on ne dit plus une porte, un altimètre, une centrale inertielle ou un radar météo. On parle plutôt d’une tige tordue, d’un fragment de circuit imprimé, d’un éclat de métal gris ou d’un bout de verre. Les mots les plus simples semblent peut-être plusieurs niveaux d’organisation au-dessus ce chaos indescriptible.

De tout cela, il faut fabriquer un avion. Juste un fantôme d’avion. Il ne volera pas, mais il dira, s’il le veut, pourquoi il a tué autant de monde.

 

Decouverte de Boeing du vol SAA 295
 

 

 

Decouverte de Boeing du vol SAA 295
 

 

 

Decouverte de Boeing du vol SAA 295
Zone clairement attaquee par le feu
 

 

 

Decouverte de Boeing du vol SAA 295
Certaines zones etaient a plus de 300 degres.
 

 

Un CVR peu bavard :
Quand le CVR est analysé au NTSB, la déception est totale. Nous sommes à peu dans le même cas que le Swissair 111. Les dernières minutes du vol. Les plus cruciales, n’ont pas été enregistrées. Dès que le feu s’était déclaré, il fait fondre les garnitures du plafond ainsi que les isolants et les gaines des fils électriques qui cheminent vers l’arrière. Plus de 80 fusibles sautent dans le poste de pilotage et de nombreux systèmes sont privés de courant et de données y compris les enregistreurs de vol.

Entre le moment où les pilotes se rendent compte qu’il y a le feu à bord et le moment ou l’enregistrement se coupe, il y a 81 secondes seulement. Cet intervalle, si court, est déjà une information. Il dit que le feu a été rapide, puissant, fulgurant !

 

Decouverte de Boeing du vol SAA 295
CVR du ZS-SAS une fois que la bande magnetique est retiree.
 

 

L’enregistreur des paramètres de vol, le DFDR aurait pu donner un meilleur éclairage sur la situation, mais quand les recherches épuisent les patiences ainsi que les budgets, il n’a pas encore été retrouvé. Jusqu’à nos jours, il git quelque part au large de l’Ile Maurice.

Une carlingue à 300 degrés :
Des pièces de la carlingue sont remontées. Les plus exposées à la chaleur sont celles qui se trouvaient à l’avant droit du compartiment cargo. C’est-à-dire juste derrière la cloison séparant la zone pax de la zone fret. La palette à l’origine du feu est ainsi localisée. D’après le manifeste de chargement, elle comportait du matériel informatique. Selon d’autres sources, des vélos ou bien des sèche-cheveux. Quelque chose de réglo en tout cas.

Pour tous les spécialistes en incendies, ces données ne collent pas ensemble. Afin d’obtenir 300 degrés en quelques minutes sur la carlingue d’un avion, il faut deux choses :

1 – dégager assez d’énergie pour contrer le refroidissement du vent relatif. En effet, nous sommes en vol à au moins 500 km/h. De l’air glacé refroidit l’avion. Au sol, 300 degrés, ce n’est pas impressionnant. En vol, c’est une autre affaire.

2 – Il faut trouver assez d’air pour pouvoir réaliser la combustion de manière rapide et violente. Or dans une cabine fermée, par définition, l’arrivée d’air est limitée.

De plus, une raquette de Tennis qui était dans le fret est retrouvée fondue. Des tests sont réalisés sur un équipement similaire et on constate qu’il faut 600 degrés pour le faire fondre de cette manière. Un extincteur est repêché. On trouve dessus des particules de métal fondu qui a été projeté à grande vitesse.

L’avion s’est transformé en four en moins de deux minutes de temps. Quand les autorités d’Afrique du Sud annoncent qu’il s’agissait simplement d’un feu de cartons et de plastique d’emballage, personne ne les croit.

Spéculations :
Même si on a la certitude aujourd’hui qu’un produit inflammable dangereux était dans le fret du vol 295, la nature réelle de ce produit est toujours soumise à spéculation.

Pour un expert de chez Boeing, Fred Bereswill, la substance chimique devait être un oxydant. Le nom du perchlorate d’ammonium revient souvent dans ce dossier. Cette molécule comporte 4 atomes d’oxygène liés de manière bancale à un atome de chlore. A la moindre occasion, ils sont libérés et peuvent initier des réactions très puissantes ainsi que des incendies. Pour ces raisons, le perchlorate d’ammonium rentre dans la composition des carburants solides pour fusées et missiles. Quand il est mis à feu avec d’autres substances en environnement confiné, il peut exploser. Le transport d’une telle substance, même par la route, est sévèrement réglementé.

 

Perchlorate d'ammonium
Perchlorate d’ammonium.
 

 

A l’époque, les avions de la SAA étaient réputés pour transporter du cargo louche dans leurs soutes. Sous embargo de l’ONU depuis 1967, le régime local était passé maitre dans l’art de se procurer des armes de par le monde. Puis, la nécessité créant la vocation, il en fabriquait et il en vendait. Ses clients, pour la plupart, n’étaient pas en mesure d’obtenir leur arsenal par les voies officielles. Ainsi, lors de la guerre Iran / Irak, les deux pays furent équipés de canons Howitzer G5 de 155 mm. La neutralité avec laquelle Pretoria livra l’équipement et les munitions aux deux belligérants force le respect. A armes égales, seule l’habilité allait départager les deux camps.

On retrouve également les avions de la compagnie à livrer des grenades en Argentine et aussi maquiller des choses louches à l’aéroport de Tel-Aviv. Toutes ces opérations sont réalisées avec des avions transportant des civils qui servaient de couverture à leur corps défendant.

Dans l’intérêt public :
Pour faire cesser les critiques, en 1985, le gouvernement local fait passer une loi qui interdit le transport d’armes conventionnelles, atomiques ou incendiaires à bord d’avions civils. En même temps, cette loi donne au ministre en charge de l’Aviation Civile le droit d’autoriser de tels transports s’il le juge nécessaire dans l’intérêt public. Etrange conception de l’intérêt public en effet !

Loin d’être un obstacle, cette loi vient légaliser une pratique déjà courante. Des années après le crash, de temps en temps, des anciens responsables rongés par leur conscience ou cherchant à régler d’anciens comptes font des révélations qui mises bout à bout dressent un portrait effrayant du tableau.

Certification Fumée à bord :
Dans le 747 Combi, il y a ce que la FAA définit comme un compartiment cargo de classe B. Celui-ci doit répondre à 3 exigences réglementaires qui sont vérifiées et validées durant la certification de l’avion. C’est le CFR 14, article 25.857 :
1 – Il existe un accès permettant à un membre d’équipage d’atteindre facilement n’importe quelle partie du compartiment avec un extincteur portable.
2 – Quand cet accès est utilisé, ni la fumée, ni le feu, ni même le gaz extincteur ne doivent pouvoir refluer dans la cabine des passagers.
3 – Il existe un détecteur de fumée ou d’incendie capable d’avertir le pilote ou le mécanicien navigant par une alarme au poste.

Les textes de ces réglementations aériennes sont bien faits et jouissent généralement d’un bon consensus parmi les professionnels de l’aviation. Par contre, quand on se penche sur leur application concrète, on découvre que leur esprit n’est pas toujours respecté.

Lorsque les enquêteurs s’intéressent au point 2 de l’article précédent, ils sont étonnés de voir avec quelle légèreté il a été validé. Pour le Combi, Boeing avait retenu un système de conditionnement d’air un peu à l’image de celui qu’on trouve dans les salles de chirurgie. Quand la porte d’une sale d’opérations s’ouvre, on reçoit toujours un coup d’air froid sur le visage parce que la pression à l’intérieur est supérieure à la pression au-dehors. Ceci empêche l’entrée d’un air porteur de pathogènes. Selon le même principe, la zone passagers recevait de l’air de conditionnement alors que la zone fret n’était pas ventilée. Ceci créait un léger différentiel de pression en faveur de la partie habitée de l’avion. De la sorte, quand on ouvre la porte de séparation entre les des deux zones, la fumée d’un incendie de fret ne peut pas refluer en cabine. Ca, c’est la théorie. Sur le terrain, quand des membres d’équipage ont ouvert la porte du compartiment cargo, de monstrueux nuages de fumées toxique envahissent la cabine. Certains passagers en sont même morts.

On découvre que la certification de ce dispositif est un authentique tour de passe-passe. Les techniciens de Boeing mettent le feu à une botte de feuilles de tabac placée dans le compartiment cargo. Puis, on ouvre la porte de séparation et on constate qu’effectivement la fumée dégagée ne reflue pas en cabine. Pourtant, il y a un truc.

Le tabac ne brule pas mais il se consume lentement en dégageant beaucoup de fumée. Cette fumée est a la même température que l’air ambiant et de ce fait, ne possède qu’une très faible énergie. Contrairement à la fumée qui se dégage d’un vrai feu, celle-ci est incapable de voyager à contre courant. Pour cette raison, elle n’aurait jamais dut être acceptée pour simuler un incendie.

Ces découvertes sont souvent faites en cas d’accident. Pour cette raison, il faut toujours garder une approche conservative et prudente vis-à-vis de tous les points dits « certifiés ». Les conditions de certification ne sont pas toujours réelles, mais basées sur des simulations plus ou moins réalistes et trop souvent complaisantes avec le constructeur.

La communication mystérieuse :
On apprend au hasard des différents témoignages que l’équipage du 747 a contacté par radio les services de la compagnie à Johannesburg. C’est la procédure. Tous les vols devaient reporter à la centrale une fois en l’air pour donner leur heure de départ et passer des informations liées à l’exploitation des appareils. Ces échanges sont enregistrés et gardés. Excepté pour… l’avion accidenté. Quand les enquêteurs réclament la bande, elle a été effacée, perdue ou réécrite depuis longtemps. Ou peut être qu’ils n’ont pas appelé du tout ? Peut-être que le SELCAL était en panne ? Les bouches sont cousues.

Pour certains familiers de SAA, le pilote a dut évoquer la nature du chargement dans l’échange ce qui a justifié le blackout total de celui-ci.

Il n’y a pas qu’à Johannesburg où les enregistrements disparaissent. A la tour de contrôle de l’aéroport de Plaisance en Ile Maurice, il y avait un pilote de SAA. Il a parlé par radio au commandant de bord du vol 295 mais on ne trouve plus trace de l’échange. Ce pilote n’a jamais été interrogé par les enquêteurs. D’ailleurs, le matin même du crash, le premier avion à quitter Johannesburg était un vol Safair pour l’Ile Maurice bourré de militaires et de responsables de Armscor, la société d’armement Sud Africaine qui avait ses habitudes a la SAA. Interrogée des années plus tard, la veuve du commandant de bord Dawie Uys rapporte que celui-ci avait souvent peur de réaliser certains vols parce qu’on le forçait à transporter des armes qui pouvaient prendre feu ou exploser à tout moment.

Enquetes…
La première équipe d’enquêteurs, appelée Commission Margo, du nom du juge qui la présidait, remit un rapport frileux qui évite les points qui fâchent. Oui, il y a eu du feu. Celui-ci a soit provoqué assez de fumées nocives pour incapaciter les pilotes (installés en avant et un étage au-dessus) ou bien ce feu a fini par faire fondre l’avion en son milieu et celui-ci s’est coupé en deux avant de s’écraser. Cette dernière hypothèse est pour le moins farfelue et elle est fermement rejetée par Boeing.

Le début des années quatre-vingt dix, voit la fin de l’apartheid. En 1991 se tient le procès en appel de Winnie Mandela pour assassinat d’un gamin de 14 ans. Elle a demandé à ses hommes de main de le battre puis de l’égorger. Il parlait trop. Elle a reçu une amende et 2 ans de prison avec sursis. En 1997, elle qualifie de « ridicules » les accusations selon lesquelles elle serait impliquée dans 8 assassinats et au moins 18 autres atrocités. En 2003, elle est reconnue coupable de 43 chefs d’accusations de fraude et 25 autres de vol. Avec un associé, la première dame a réalisé un vaste réseau d’escroquerie aux frais de funérailles. Elle échappe de justesse à 5 ans de prison quand un juge estime qu’elle n’a pas réalisé ces escroqueries pour un intérêt personnel. En 2007, le Canada lui refuse le visa alors qu’elle devait se rendre à une collecte de fonds. L’Afrique du Sud postapartheid, c’est la xénophobie à tel point que la population attaque les étrangers dans la rue. C’est un pays où une femme sur quatre est violée au moins une fois dans sa vie. C’est un pays où la presse fait régulièrement état de viols collectifs sur des enfants et des bébés. C’est plus de 30000 meurtres par an, c’est-à-dire une fois et demi le taux de morts civils et militaires durant la guerre de Bosnie.

C’est donc dans ce pays corrompu à tous les niveaux qu’une nouvelle commission d’enquête est mise en place en 1996. Le lyrisme étant une valeur très en vogue chez tous les régimes de la région, elle s’appellera la Commission pour la Vérité et la Réconciliation. Au bout de 2 ans de contre-enquête, elle finit tout de même par demander à la justice d’ouvrir une nouvelle procédure pour déterminer la nature du cargo transporté.

Cette demande n’a pas été suivie d’effet. Apres tout, 159 morts, ce n’est que le bilan de la criminalité d’un weekend en Afrique du Sud.

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