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Récit de Pilote : Leçon d’humilité le long de l’AM-21 – PARTIE 1

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Reconstituée depuis mémoires d’un pilote de ligne des années trente, cette histoire est pleine d’anecdotes, de moments drôles, de frayeurs mais aussi de leçons pour le pilote d’aujourd’hui. Ces pilotes volaient sur des avions qui peuvent paraître rudimentaires par rapport aux Airbus et Boeing de nos jours. C’était une époque où le commandant de bord avait sur lui un carnet de tickets de train qu’il distribuait aux passagers si le vol ne pouvait pas se poursuivre. L’ADF n’était pas encore automatique. Il s’appelait DF et il fallait tourner l’antenne à la main pour chercher les stations. Ils n’avaient que quelques instruments et ils faisaient des miracles avec.

L’AM-21 est une route aérienne qui commence à Newark dans l’Etat du New Jersey et s’enfonçait progressivement vers l’Ouest. La première escale se faisait toujours à Wilkes Barre après un vol de 150 kilomètres. Ce terrain a une piste construite sur un terrain surélevé de sorte qu’elle se termine par une petite falaise à chaque extrémité. La topographie du lieu est telle que le vent semble se comporter sans aucun égard pour les lois de la physique. Il vient de face, puis il change soudain de direction pour devenir un puissant vent arrière. Il vous soulève l’avion juste au moment où vous passez le seuil de piste, comme il peut vous plaquer avec de dangereuses vagues rabattantes. En fait, l’aéroport était si dangereux que les commandants de bord les plus conservateurs le sautaient tout simplement.

 

Wilkes Barre
Wikes Barre, approche en 04
 

 

 

Cargolux Accident Findel
Wikes Barre, approche en 22
 

 

Ross, lui, ne refusait jamais le défi qui se présente. Même si le vent soufflait à 50 km/h au travers de l’unique piste, on y allait quand même. Lors de mon premier atterrissage sur ce terrain avec lui, j’étais trop absorbé par mes taches, pourtant simples, pour apprécier sa maîtrise.

Lors de l’étape suivante, nous sommes en vol quand l’hôtesse de l’air arrive dans le cockpit. Avec beaucoup de cérémonie, elle pose un plateau repas sur les cuisses de Ross. Puis, comme un qui nourrirait un chien, elle dépose mon plateau sur le sol et elle repart.

Il n’y a pas de pilote automatique sur le DC 2. Je suis obligé de tenir le manche jusqu’à ce que Ross ait fini de manger. Apres, ça sera mon tour.

Je m’applique à garder la route et l’altitude avec une technique presque parfaite. Je le fais avec l’arrière pensée de me faire pardonner des erreurs qui ont jeté un froid dans le cockpit. Ce matin, à la première étape, je me suis trompé de 11 minutes en entrant le temps de vol dans le log de navigation. Ross, avec son sens d’exactitude, s’est senti si insulté qu’il m’a arraché le document des mains qu’il a tout gommé pour le refaire lui-même.

Je n’assistais pas à notre décollage de Wilkes Barre. Normalement, comme c’est la première étape, les valises des passagers qui y descendent sont entreposées tout en haut du compartiment de fret situé à l’avant de la cabine. Cependant, à notre arrivée, je ne parvenais pas mettre la main sur ces bagages. Un par un, j’ai fini par tout vider dans la cabine passagers. A ce moment, un agent de piste est venu nous informer que les bagages ont été retrouvés dans la soute située à l’arrière et accessible par une petite trappe qu’ils ont ouvert de l’extérieur.

Pendant que je remettais tout en place devant les passagers étonnés, l’avion se mit à rouler. Ross allait me démontrer mon inutilité à bord. Je rangeais encore ces foutus bagages quand l’avion quitta le sol.

Je venais juste de reprendre mon siège, qu’un autre problème arriva. Ross me fit remarquer qu’il avait froid. Comme pour lui donner raison, une hôtesse passa la tête dans le cockpit et nous signala que la température avait beaucoup chutée dans la cabine. Je lâche les commandes et je me lève sans mauvaise grâce.

Le chauffage s’était arrêté. Il se situe derrière la cloison qui sépare le cockpit de la cabine de passagers. Certains copilotes sont tombés a genoux, en larmes devant lui. D’autres ont du se retenir pour ne pas le détruire avec une hache. Il se présente sous la forme d’une bouilloire cylindrique connectée par une série de tubes à l’échappement du moteur droit d’où la chaleur est effectivement tirée. De nombreuses valves et robinets sont installés de tous les cotés. L’ensemble était complexe et avait un certain nombre de qualités humaines : il était récalcitrant, capricieux et imprévisible.

Je tourne une valve. De mémoire, elle doit permettre d’isoler temporairement le système. La bouilloire devient silencieuse. J’attends quelques instants, complètement résigné quand à la possibilité d’une explosion. Le commandant de bord me demande de faire plus vite.

Je me penche pour regarder par une vitre épaisse qui me permet de voir qu’il y a assez d’eau dans le réservoir de l’échangeur. Je donne quelques coups avec la paume de la main pour provoquer quelque chose, mais rien ne se passe. J’avise une valve sur le haut de l’appareil et, en désespoir de cause, je décide de la tenter. J’ai a peine donné un quart de tour qu’un impressionnant geyser d’eau bouillante et de vapeur surgit de la machine. Le temps de refermer la vanne et déjà on ne peut plus rien voir dans la cabine.

Depuis le poste de pilotage, Ross me crie de revenir immédiatement et m’enjoint de prendre les commandes. Il se lève à son tour sans que je n’ose échanger de regard avec lui.

Il est absent depuis quelques minutes quand je commence à sentir de l’air chaud arriver sur mes chevilles. Puis, il revient à sa place et reprend son repas la où il l’avait laissé. J’ai les yeux sur les instruments et sens que lui a les yeux sur moi. Il m’examine sans enthousiasme.

L’ambiance est telle que je suis étonné de le voir me laisser les commandes lorsque nous commençons l’approche sur Syracuse. Je le regarde d’un air interrogateur. Il me fit signe que ça sera à moi de poser.

Il y a un malentendu ou bien il me fait une blague. Je n’ai jamais était à l’aise aux commandes du DC-2 et c’est la première fois de ma vie que je vois cet aéroport.

Ross a complètement perdu intérêt dans notre progression. De la main droite il mange un gâteau tout en mettant sa main gauche sous son menton pour éviter que des miettes ne tombent sur son pantalon. Cette fois, je crois que c’est la fin.

A suivre…

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