Le vol 1-11 de Northwest commençait l’aéroport d’Idlewild dans l’Etat de New York et finissait à Manille aux Philippines après un nombre incalculable d’escales imposées par la météo et les vents contraires.
Le 11 juillet 1960, le DC-7C décolla avec un équipage de 7 personnes et 51 passagers. Dans le cockpit, il y avait le commandant de bord, un copilote, un mécanicien et un navigateur. Deux stewards et une hôtesse de l’air veillaient à la sécurité et au bien être des passagers.
Mis en service en 1956, le DC-7C était appelé Seven Seas (Sept Mers) par un jeu de mots lié à la prononciation en Anglais du 7 et du C. A l’instar du DC-6 et du Lockheed Constellation, il était un des rares avions capables de traverser l’Atlantique sans escale. Il était doté de 4 moteurs à pistons ; des Wright R-3350. Chaque moteur avait 18 cylindres en double étoile à refroidissement par air. Avec ses 55 litres de cylindrée, chaque moteur pouvait donner jusqu’à 3700 chevaux sur l’arbre hélice au régime de décollage de 2800 tours minute. Parmi les moteurs d’aviation les plus puissants jamais construits, le Wright R-3350 équipait tous les avions sérieux volant durant les années cinquante.
Moteur Wright Cyclone R-3350
Dans sa route vers l’Orient, le vol 1-11 fit sa première escale à Seattle puis repris son vol à travers le Canada et l’Alaska. Il arriva à Anchorage, capitale de l’Etat, pour un autre avitaillement puis reprit son envol. Comme les conditions météorologiques n’étaient favorables au-dessus du Pacifique Nord, l’avion trouva refuge Cold Bay en attendant l’accalmie. Ce petit terrain construit durant la Seconde Guerre Mondiale avait une importance stratégique pour les vols militaires et civils. Il est aujourd’hui tombé dans l’oubli. On n’y trouve plus guère que des petits avions pleins de poisson ou des cargos d’Evergreen remontant d’Asie. Un jour, il fera peut-être la une de l’actualité quand la navette spatiale américaine se posera dessus. C’est en effet un des terrains de secours prévus par la NASA.
Vue de Cold Bay – Alaska
L’appareil arriva à Tokyo dans la soirée du 13 juillet. Il avait près de huit heures de retard sur son horaire et volait depuis deux jours. C’était le moment de changer d’équipage et de repartir avant que les passagers ne commencent à perdre patience.
Pendant la nuit, une escale fut réalisée à Okinawa. Elle dura 35 minutes. Juste le temps de remplir les réservoirs encore et l’avion décolla pour sa dernière étape.
L’avion volait au-dessus du Pacifique au milieu de la nuit du 14 juillet lorsque les problèmes commencèrent. Le mécanicien naviguant constata une baisse de pression dans le moteur numéro deux. Au départ, ceci fut considéré comme un signe de début de givrage. De l’alcool fut injecté dans le carburateur, la manette de mélange fut placée sur riche et les gaz réduits sur ce moteur. Quelques minutes plus tard, un constat inquiétant fut réalisé : il restait que 113 litres d’huile dans le moteur des 197 litres qu’il y avait au décollage d’Okinawa.
Malgré la réduction de la puissance, la température du moteur augmentait sans arrêt. Un indicateur dans le cockpit montrait un défaut d’allumage sur les cylindres 5 et 7. L’équipage décida d’arrêter ce moteur et ce fut chose faite. Ceci régla un problème, mais en fit surgir d’autres : l’hélice refusait obstinément de se mettre en drapeau. Elle moulinait furieusement en ralentissant l’avion. Toute la puissance du moteur numéro 1 ne servait qu’à équilibrer l’énergie dilapidée par l’hélice qui moulinait à 2900* tours par minute. L’avion était dans la même situation que s’il avait perdu deux moteurs du même coté. La jauge d’huile du moteur tomba à zéro. Toute tentative de mise en drapeau serait futile. Il n’était plus possible de tenir la vitesse et encore moins l’altitude.
Le DC-7C quitta son altitude de 18000 pieds et commença à descendre lentement au-dessus de l’océan. Les pilotes espéraient trouver un équilibre, même précaire vers 10000 pieds. La vitesse tomba à 130 nœuds et les volets furent sortis.
Le contrôleur à Manille était à portée de radio et une urgence fut déclarée. Grace à un point fait au Loran, les pilotes estimaient se trouver à 140 miles de l’ile de Jomalig et demandèrent qu’un avion vienne les intercepter. L’altitude n’était plus que de 9000 pieds mais stable.
La cabine fut préparée au pire. Les passagers furent tous massés dans le fond de l’avion pour ne laisser personne dans la zone du plan de rotation des hélices. Des gilets de sauvetage furent distribués et leurs lampes allumées. Les radeaux gonflables furent placés devant les issues de secours et on demanda à tous les occupants de retirer leurs chaussures et se de séparer de tous les objets pointus.
La situation semblait sous contrôle quand le mécanicien remarqua qu’une épaisse fumée blanche sortait du moteur qui crachait aussi des étincelles. A ce moment, le moteur recevait encore de l’huile de lubrification depuis un circuit de secours. La décision fut prise de couper cet apport. C’était une solution très utilisée quand ce genre de situations se présentait. Lorsque la valve d’isolation est fermée, le moteur qui tourne en survitesse surchauffe. Normalement, il a besoin de faire circuler 190 litres d’huile par minute à plein régime. Si on l’en prive, l’arbre moteur se grippe et ne tourne plus. L’inertie de l’hélice fait que celle-ci casse son axe et se sépare de l’avion.
Peu de temps après la fermeture de la valve d’isolation, une formidable explosion secoua l’avion. L’hélice s’était séparée ! Vu son sens de rotation, elle partit vers la cabine. Une des pales transperça la carlingue par le dessus et passa à travers un porte-bagages et son contenu. Puis, l’hélice disparait dans le noir laissant une déchirure de 40 centimètres dans la cabine. Si un passager était assis dans cette zone, il n’aurait pas survécu à cette intrusion.
L’avion retrouve immédiatement plus de force, mais plus grave encore est à venir. Le moteur émet une lueur rouge qui vire progressivement au blanc. Il menace de prendre feu. Deux extincteurs sont déchargés dedans mais sans succès. L’alarme incendie se déclencha dans le cockpit.
Le commandant de bord passa un message au contrôleur de Manille. L’aile gauche était en feu et la seule option était l’amerrissage sans délais.
La descente à 3000 pieds par minute fut entamée à travers la pluie et les nuages en plein nuit noire sans le moindre repère visuel. Le train d’atterrissage fut abaissé et les volets complètement déployés.
A 1000 pieds d’altitude, le train d’atterrissage fut relevé et les volets réglés en position d’approche. Le mécanicien et le navigateur avaient été renvoyés en cabine pour pouvoir ouvrir les issues de secours et assurer l’évacuation la plus rapide possible après l’amerrissage.
Dans le noir total et n’ayant pas la moindre idée de sa hauteur, le commandant de bord s’efforça de maintenir un taux de descente de 100 à 200 pieds par minute. Penché sur le hublot à sa gauche**, le copilote observait l’approche de l’eau. Tout dépendait de lui. Il était le premier et le dernier à pouvoir acquérir la moindre référence visuelle.
– L’eau ! tire ! tire ! s’écria le copilote.
Le commandant de bord rentra les volets. Dès qu’il furent à zéro, le copilote commença à les sortir encore alors que le commandant tirait le manche jusqu’en buté pour contrer la tendance de l’avion à s’enfoncer.
Apres un choc puis plusieurs rebonds, l’avion s’immobilisa sur l’océan et la cabine se remplit immédiatement de fumée. Les occupants se retrouvèrent dans l’eau jusqu’aux genoux avec le feu qui semblait condamner les issues de secours à gauche et à droite. Un des stewards commença à rassembler les radeaux qu’il avait arrimés solidement durant la descente. L’un d’eux avait rompu ses attaches et restait coincé sous les sièges. Il fallait l’abandonner.
L’avion était fortement penché, ce qui ne facilitait pas les déplacements. Les pilotes criaient aux autres de venir à l’avant où une sortie semblait possible. Deux radeaux furent jetés au dehors et l’évacuation commença. Il fallut cinq bonnes minutes pour sortir tout le monde, y compris une femme blessée. Il n’eut aucune panique. Depuis le début de l’incident, les passagers écoutaient les instructions de l’équipage et les suivaient à la lettre.
Quelques minutes plus tard, l’avion qui se remplissait d’eau par l’arrière se souleva, le cockpit pointant vers le ciel, puis coula en quelques secondes. Il se resta de lui que l’aile droite qui s’était cassée à l’impact et qui flotta encore pendant quelques heures. Elle servit d’esquif temporaire à plusieurs passagers.
Plusieurs personnes furent récupérées de l’eau et embarquées sur l’un des deux radeaux. Elles étaient faciles à voir grâce à la lumière installée sur les gilets de sauvetage.
Apres une petite heure, un des radeaux commença à prendre l’eau. Sans céder à l’hystérie ou la panique, les occupants se mirent à écoper et éponger avec les moyens du bord. Pour ne rien arranger, la pluie reprit de plus belle.
Au lever du soleil, la personne blessée décéda, l’aile avait coulée mais le reste des infortunés étaient sains et saufs et attendaient les secours.
Quatre heures après le crash, un premier avion fut entendu puis aperçu à l’horizon. Des fusées tirées depuis les radeaux et l’avion obliqua vers eux. Deux heurs plus tard, un hydravion atterrit à proximité et ramassa tout le monde. Le cauchemar était fini.
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* Un limiteur dont était doté le DC-7 gardait la vitesse de l’hélice sur la ligne rouge sans la laisser aller au-delà. Autrement, dans les conditions de ce vol, elle aurait pu atteindre 4500 RPM.
** Ce n’est pas une erreur. Le copilote et le commandant de bord avaient échangé leurs places. Lors de l’atterrissage, ils étaient assis à gauche et à droite respectivement.
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