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De la glace et des ailes : L’accident du Vol Comair 3272

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Parfois, quand nous voyons des avions ultramodernes parcourir la moitié de la terre sans escale ou des sondes envoyer des images de planètes ou de comètes lointaines, nous pensons tout savoir sur des choses aussi proches de nous que la formation de la glace sur une aile. L’homme croit qu’il lui reste à découvrir Mars ou Jupiter, mais les domaines de recherche sont parfois plus proches de nous que nous le pensons.

C’est cette idée humble que la nature est venue rappeler durement aux hommes en cette journée du 9 janvier 1997.

Le givrage est un phénomène que tous les automobilistes connaissent les matins d’hiver. La glace ou la neige sous diverses formes se déposent sur les véhicules et les chaussées. Les aviateurs n’ignorent pas ce phénomène et, depuis toujours, ils l’ont pris au sérieux. Si un avion, petit ou grand, commence à se couvrir de givre, la situation devient très vite alarmante. La glace alourdit l’avion de plusieurs centaines de kilos à plusieurs tonnes. Sur les ailes, elle peut provoquer une modification du profil aérodynamique de l’aile. Cette modification est toujours néfaste, l’aile va décrocher plus vite et à des incidences bien moindres que celles qui sont certifiées. En 1997, on savait que le givrage était dangereux, mais on ne savait pas à quel point. Bien des choses ont été apprises lors des recherches initiées après cet accident de janvier 1997.

L’avion impliqué est un bi turbopropulseur. En termes simples, c’est un avion de ligne qui comporte deux puissants moteurs à hélices. Ce genre d’appareils puissants et économiques sont utilisés sur de courtes distances pour emporter quelques dizaines de passagers sur des vols excédant rarement une heure. Statistiquement, ces avions sont plus sujets au givre et aux autres dangers de la météo que leurs grands frères qui passent plus de temps à haute altitude où ces problèmes sont moindres. L’Embraer RT120 est fabriqué au Brésil et les pilotes du monde entier l’apprécient pour sa fiabilité et sa maniabilité.

Tous les avions de transport public sont munis de systèmes qui empêchent la formation du givre ou qui le détruisent une fois qu’il s’est formé. Sur les avions à réaction, de l’air chaud est prélevé au niveau des compresseurs des réacteurs, acheminé par des tubes et enfin soufflé sur les endroits des ailes où la glace a le plus de chances de se former. Ce système abaisse la puissance des réacteurs, aussi, il n’est enclenché qu’en cas de besoin.

Sur les avions à hélices, comme notre Embraer 120, la protection est réalisée selon un système différent. En effet, les moteurs ne sont pas assez puissants pour permettre une forte prise d’air chaud. Aussi a-t-on installé des boudins gonflables de couleur noire sur les bords d’attaques des ailes, sur l’empennage et les autres endroits sensibles. Ainsi, quand le givre se formait, le pilote pouvait appuyer sur un bouton et provoquer le gonflement de ces boudins cassant ainsi la glace. Par nature, ce système exige qu’on laisse la glace se former avant de la casser. On rapporte même une histoire, non documentée, selon laquelle des pilotes auraient oubliés ces boudins gonflés. Lorsque la glace se forma dessus, ils ne furent capables que de dégonfler les boudins et plus les gonfler plus loin pour casser la glace. Cette histoire, largement répandue dans le milieu des pilotes, avait inspiré la procédure qui consistait à attendre vraiment qu’il y ait une bonne couche de glace avant d’intervenir. La glace n’étant pas considérée, alors, comme dangereuse du moment qu’elle ne dépassait pas une certaine épaisseur. Conception fausse, ceci sera démontré par la suite.

Le vol Comair 3272 devait mener les 29 occupants du N265CA de l’aéroport de Cincinnati dans Kentucky à celui de Detroit dans le Michigan. Les deux pilotes étaient expérimentés et respectés dans la compagnie pour leur sérieux et leurs connaissances de l’appareil. Le commandant de bord était, par ailleurs, instructeur sur cet avion ainsi que sur un autre biréacteur exploité par la compagnie.

Attendant un vol en correspondance, l’avion du prendre l’air avec passablement de retard. Souvent, lors de récits de crashs, on apprend que l’avion était en retard. C’est à se demander si un retard important ne représente pas une moins value en terme de sécurité. Fréquemment, l’attente fait arriver de nuit un vol qui a été préparé pour une arrivée de jour. Il arrive que l’attente change les conditions météos préparées et étudiées avant le vol initial. Les pilotes se trouvent fatigués et comme ils doivent enchaîner plusieurs vols de suite, le retard sur un vol pose des contraintes opérationnelles sur toute une série d’autres voyages. Il serait intéressant de confirmer cela par une étude statistique et corrélative, mais l’influence des retards comme facteurs aggravants est constatée dans beaucoup de rapports d’accidents. Bien des avions seraient arrivés à bon port s’ils étaient partis à temps.

L’avion décolle dans des conditions marginales. Pas de turbulences ou d’orages signalés, par contre, les nuages sont denses et couvrent tout le ciel. De plus, des alertes météo indiquent des conditions de givrage modérées à sévères. Avant de prendre son envol, l’avion reçoit « une douche » d’un liquide composé d’eau et d’éthylène glycol. Ce cocktail chasse le givre qui s’est formé sur l’avion durant son stationnement au sol et l’empêche de se reformer pendant une période de 20 minutes environ.

Après le décollage, l’avion monte au niveau 210 pour éviter des turbulences qui régnaient plus bas. Le vol se fait sans histoires et quarante minutes plus tard, c’est le début de la descente sur Detroit.

Les premières nouvelles reçues de l’aéroport ne sont pas brillantes. Les nuages sont bas et la neige tombe. Des voies de circulation (taxiways) et certaines pistes rendues trop glissantes sont fermées. Les chasse neige s’activent afin de maintenir un accessibles un minimum d’installations.

Les pilotes discutent et prévoient tout naturellement une approche aux instruments avec une attention tout à fait particulière au givrage auquel la situation semble très favorable.

Le contrôleur aérien du service d’approche prend en charge le vol 3272 et commence à donner des caps au pilote pour le mettre sur la trajectoire d’approche de la piste 03. Au passage, il leur annonce qu’un DC-9 qui vient de se poser a déclaré la qualité du freinage sur cette piste était particulièrement mauvaise. Les pilotes doivent donc poser le plus lentement possible et ruser avec l’avion pour le diriger et l’arrêter sur cette vaste patinoire.

Entre en jeu un autre acteur. Un Airbus A320 s’annonce et doit aussi atterrir sur la piste 03. L’ennui est que l’Airbus est bien plus rapide que l’Embraer et le contrôleur n’a aucun choix que de le faire passer avant s’il veut éviter le télescopage. Mais une fois que l’A320 passe avant, les problèmes ne sont pas finis. L’Embraer doit rester loin derrière s’il ne veut pas se faire secouer par ses turbulences de sillages. Le contrôleur donne au vol 3272 des caps qui vont l’éloigner momentanément de l’axe d’approche et lui fait faire des zigzags pour que l’A320 puisse bien s’éloigner devant.

Toutes ces manœuvres se déroulent en pleins nuages givrants. Le contrôleur aérien ne peut pas donner des ordres aux pilotes. Il leur donne des instructions afin d’expédier le trafic dans l’intérêt de tout le monde. Si le pilote juge une instruction dangereuse ou inadaptée à son avion, il peut en tout moment demander une instruction modifiée. Le contrôleur est alors tenu de communiquer à l’équipage des instructions plus adaptées ; c’est la Loi. Mais ce jour là, ni les pilotes, ni le contrôleur ne pensent au danger.

Afin de pouvoir poser le plus lentement possible sur une piste glissante et contaminée, l’équipage de l’Airbus A320 sort totalement et ralentit le plus qu’il peut sur l’axe d’approche. L’Embraer, qui vole à 170 nœuds, commence progressivement à le rattraper. Voyant la situation sur son radar, le contrôleur appuie sur son bouton d’émission et contacte le vol 3272 pour leur donner une énième instruction :

– Tournez maintenant au cap 090 et réduisez votre vitesse à 150 nœuds.

Le Comair accuse réception du message. Ca sera le dernier message qu’on ne recevra jamais de lui. Dans le poste, les pilotes s’inquiètent du comportement du contrôleur. Deux fois de suite il leur a demandé de maintenir 150 nœuds. Le ton est amusé, mais lourd de sens :
Le copilote : ce gars a…
Le commandant : il nous l’a dit deux fois !
Le copilote : il a des problèmes de mémoire je crois
Le commandant : c’est ça tu penses ?
Le copilote : Oui, je crois qu’il a la maladie d’Alzheimer ! Je crois que c’est ça son problème.

La suite, comme souvent, est racontée par les boites noires. L’avion est à 4’000 pieds, dans les nuages, et tourne à gauche pour rejoindre le cap assigné. La vitesse est de 156 nœuds et donc à priori correcte pour ce type d’avion. Quand il a fini son virage à gauche, le pilote tourne le manche à droite pour ramener l’avion à l’horizontale. Au grand étonnement du pilote, l’avion répondit en s’inclinant encore à gauche. Surpris, le pilote tourne encore plus le manche à droite : l’avion continue encore à s’incliner à gauche et, en deux secondes, il est pratiquement sur le dos. Les pilotes augmentent la puissance des moteurs, mais ceci ne change plus rien à la situation.

L’avion descend très rapidement et s’écrase dans un champ, près d’une église, tuant sur coup les 26 passagers et les 3 membres d’équipage.

L’enquête commença par rechercher les causes du côté des turbulences de sillage. En effet, quand un avion passe dans le sillage d’un avion plus gros, il peut se retrouver déséquilibré. Cependant, l’analyse des enregistrements radar écarta immédiatement cette hypothèse. Le contrôleur avait fait son travail et avait en tout moment assuré une séparation suffisante entre l’Embraer et l’Airbus A320.

Reste le givrage. Tous les avions qui volaient au même moment, avaient subi du givrage à un degré plus ou moins avancé. Le problème de la glace se déposant sur les ailes, a été étudié des les années 30 par le célèbre NACA . Il était rapidement apparu qu’une couche de glace de trois dixièmes d’épaisseur, recouvrant 5 à 10% de la surface de l’aile, pouvait provoquer une baisse allant jusqu’à 6 degrés de l’incidence de décrochage. En d’autres mots, un avion recouvert d’une quantité « insignifiante » de glace, pouvait décrocher bien plus facilement qu’on ne le croit. En 1979, un ingénieur de Douglas écrivait : « la formation de glace à texture sablonneuse sur une partie de l’aile peut provoquer une forte augmentation de la vitesse de décrochage. Le pilote croit voler à 30% au dessus la vitesse de décrochage alors qu’en réalité, il n’est est qu’à 10%. ». De plus, ce spécialiste rajoutait que rien dans le comportement de l’avion n’avertissait les pilotes sur cette situation. Cette glace rugueuse, qui donne à l’aile la même texture que du papier à verre, provoque le décrochage avant même que l’incidence, ou la vitesse, limite ne soit atteinte. L’alarme de décrochage, qui surveille l’incidence, ne se déclanche même pas.

L’alarme de décrochage, sur certains avions, réduit l’incidence de déclanchement d’une valeur forfaitaire quand les systèmes anti-givrage sont activés. L’Embraer n’était pas équipé d’un tel système.

Le NTSB et la FAA aidés par la NASA et l’université de Champain dans l’Illinois reprennent la copie à zéro. Normalement, au cours de leur certification, tous les avions de ligne doivent démontrer une bonne tolérance aux dépôts de glace. Des vols d’essais sont réalisés dans ce sens ainsi que des tests en soufflerie. Parfois, des formes sont apposées sur les ailes pour simuler la déformation due à la glace. Or, dans tout le processus de certification, le cas plus défavorable était considéré comme résultant d’une accumulation de glace épaisse sur les ailes. Des tests auraient été fait avec 2 cm d’épaisseur de glace ! Ainsi, si le givre se déposait sur une épaisseur moindre, on pensait naturellement qu’il était moins dangereux.

Après l’accident, il fut déterminé qu’une fine couche de glace granuleuse et invisible à l’œil nu avait un plus fort impact sur la vitesse décrochage qu’une couche de 7 centimètres se déposant sur le bord d’attaque de l’aile. Paradoxalement, les procédures de l’époque exigeaient que le pilote observe le dépôt de givre et agisse quand celui-ci atteint une épaisseur respectable, c’est-à-dire, un à deux centimètres selon les constructeurs. Le gonflage des boudins casse alors cette couche de glace qui est emportée par le vent.

Le résultat des recherches fut sans appel : « le dégradation des performances aérodynamiques peut atteindre un niveau très dangereux avant même que le pilote ne soit à même de percevoir la formation du givre. »

Quand à l’histoire que tous les pilotes se répètent, celle des boudins gonflés sur lesquels la glace se forme et qui devient impossible à enlever, elle a été qualifiée par la FAA de « mythe ». L’AOPA a également critiqué cette histoire et fait remonter son origine aux années 30, à l’époque où les boudins gonflables avaient une faible puissance et mettaient longtemps à briser la glace.

La procédure recommandée fut alors que les pilotes activent les boudins en cycle dès l’entrée en conditions givrantes. Aucune attente ou laisser-aller ne sont acceptés.

Un retour sur des accidents précédents, montra que des centaines de vie auraient pu être épargnées si ce phénomène avait été découvert et les conséquences tirées plus tôt.

Malheureusement, dans l’aviation, comme ailleurs, les nouvelles ne circulent pas vite et les gens ont toujours une forte réticence à abandonner leurs pratiques ancestrales et les mythes bien établis. En juillet 2000, le département britannique des transports, à l’occasion d’un incident grave avec un avion immatriculé G-WEAC, recommande aux pilotes : « de ne gonfler les boudins sur les ailes que lorsque l’avion a accumulé du givre pour ne pas courir le risque de voir la glace s’accumuler sur les boudins gonflés et les rendre ineffectifs. »

Le NTSB a également pointé un autre phénomène qui souvent aggrave les pertes de contrôle dues à un élément extérieur : l’usage du pilote automatique. Quand ce système s’occupe de la conduite de l’appareil, l’homme perd le contact physique avec sa machine. Parfois, l’avion commence à avoir une forte tendance à s’incliner, mais les pilotes ne le remarquent pas puisqu’ils n’ont pas les mains sur les commandes. Le pilote automatique se bat en silence pour maintenir l’avion. Quand le pilote automatique se déclanche ou est déclanché, le problème a souvent atteint un niveau gravissime. Les pilotes voient subitement leur avion partir sur dos à peine ont-ils débranché le pilote automatique.

Dans le cas du Comair, il a été déterminé que si les pilotes avaient débranché le pilote automatique une minute plutôt, ils auraient senti le mouvement subtil qu’avait l’avion à partir sur la gauche malgré le braquage des ailerons vers la droite. Malheureusement, quand le pilote automatique a été débranché, ou s’est débranché tout seul, les pilotes ont vu leur avion partir dans une situation désespérée.

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