De nos jours, un simulateur de vol coûte presque aussi cher que l’avion qu’il est sensé simuler. Ils sont dotés des mêmes instruments, des mêmes sièges et il règne la même ambiance que dans les cockpits des vrais avions.
Certaines compagnies mettent une telle foie dans les simulateurs que leurs pilotes se retrouvent aux commandes des avions sans les avoir piloté dans la réalité. Si la technologie d’aujourd’hui permet aux simulateurs de reproduire le comportement de l’avion tel qu’il est rencontré dans les conditions d’exploitation habituelles, les simulateurs restent néanmoins limités. Chaque année, le NTSB doit le rappeler : les simulateurs ne sont pas fidèles à l’avion quand il s’agit des situations les plus délicates. Beaucoup de pilotes croyaient avoir la technique et la main sûre quand il s’agissait de récupérer un décrochage, un virage engagé ou toute autre situation inusuelle et dangereuse. Malheureusement pour certains, en reproduisant les mêmes gestes dans la vie de tous les jours, ils ont eu la désagréable surprise de voir leur avion réagir de façon totalement différente.
L’accident qui est arrivé ce jour de décembre 1996, est très symptomatique de cette folle confiance qu’accordent pilotes et compagnies aériennes aux simulateurs de vol.
Le DC-8 est un avion de transport qui a eu son heure de gloire au cotés du Boeing 707, de la Caravelle et du Comet. De nos jours, circuler en DC-8 est la meilleure façon de se faire remarquer dans un aéroport. Ce avion est très bruyant, cher à exploiter et rend un look très old fashion. Tellement old fashion qu’aucun passager au monde ne voudrait y mettre les pieds. Pourtant, selon la Loi, il est tout aussi sûr qu’un Airbus A340. C’est juste pour des raisons d’image et de coûts de maintenance que les compagnies aériennes se débarrassent des avions vieillissants.
Les avions en fin de vie, avant d’arriver dans les musées, ou, plus souvent, dans les ferrailles, sont exploités par les compagnies de transport de fret. On les croise alors sur des aérodromes secondaires, de préférence la nuit, entre une et quatre heures du matin.
ABX International, basée à Narrows en Virginie avait une flotte, ou plutôt une collection de 36 appareils de type DC-8. L’un d’eux, immatriculé N827AX, avait été construit en 1967 et venait de sortir d’une révision totale qui avait duré plusieurs semaines et qui se termina avec deux mois de retard sur le planning prévu. De nouveaux moteurs avaient été installés, les instruments de bord changés et le reste soigneusement nettoyé et inspecté.
Avant de remettre l’appareil au programme de la flotte, une dernière formalité s’imposait : le vol final d’évaluation. Ce vol réalisé par des pilotes de la compagnie avait pour but de tester les divers systèmes de l’appareil et vérifier que tout a été correctement replacé. Entre autres essais, les pilotes devaient réaliser toute une série de décrochages et de récupérations.
C’est un pilote instructeur de la compagnie qui supervisait le vol d’essai. Il était accompagné d’un autre instructeur de la compagnie qui allait occuper le siège de gauche, celui du commandant de bord, pour parfaire sa formation sur le DC-8. Se joignent à eux le mécanicien de bord, encore obligatoire sur ce genre d’avions, puis trois techniciens de la base.
Le vol devait décoller à 13 heures ce 22 décembre 1996. Malheureusement, du au aux retard des uns et des autres, l’appareil ne commence à circuler qu’à 17 heures 40. Il fait déjà nuit. Réaliser un vol d’essai la nuit, dénote d’un mélange à part égale de témérité et d’inconscience. De toutes les façons, l’équipe ne peut plus ajourner le vol. La compagnie a mis tout le monde sous pression : ce DC-8 doit être en l’air avant Noël. Des contrats commerciaux avaient déjà été signés dans ce sens. Ne pas les honorer c’était s’exposer à de lourdes pénalités.
Quelques secondes après le décollage retentit la première alarme : le train d’atterrissage refuse de rentrer. La manette est poussée vers le bas puis vers le haut plusieurs fois et le train finit par se loger dans son compartiment. Sauf cas de panne moteur où il est vital de le faire rentrer, il n’est pas courrant de voir des pilotes se battre pour remonter le train d’atterrissage. En effet, si son système a un problème, peut être qu’ils finiront par le remonter ce train, mais rien ne dit qu’il ressortira ensuite.
Le DC-8 est autorisé à prendre de l’altitude puis envoyé vers une région montagneuse à la verticale de laquelle, étonnamment, les essais allaient être réalisés. C’est le pilote en formation qui est aux commandes. Il a 1 heure de vol sur DC-8, l’heure qu’il était entrain de réaliser quand l’accident arriva. L’instructeur assis à sa droite et qui lui prodiguait des conseils avait 115 heures de vol sur DC-8. Ni l’un ni l’autre n’avaient subi une formation particulière pour organiser et conduire des vols d’essais qui ont des exigences bien spécifiques.
Arrive le moment crucial : le décrochage. Dans toute l’histoire de l’aviation, il doit exister quelques personnes qui ont réalisé des décrochages de nuit dans des conditions de vol aux instruments et qui ont survécu pour le raconter. Mais ces pilotes n’en feront pas parti.
Le pilote en formation réduit les gaz. L’avion a tendance à ralentir puis perdre de l’altitude. Le pilote tire progressivement sur le manche pour conserver son altitude qui est de 14’000 pieds à ce moment là. Privé de force de propulsion, l’avion ralentit en se cabrant et à un moment ou un autre il décrochera. C’est de cette façon qu’on fait décrocher un Cessna 152 ou un avion de ligne. Par contre, la réaction des appareils n’est pas la même une fois le décrochage réalisé. Les petits avions à aile rectangulaire sont un comportement très sain. C’est d’abord les parties internes de l’aile qui décrochent. L’avion reste contrôlable latéralement puis finit par plonger le nez en premier et reprend sa vitesse. Les avions de lignes, ont des ailes dites « en flèche » cette géométrie est nécessaire pour le permettre de voler vite ; à environ 80% de la vitesse du son. Par contre, les ailes en flèche ont un fâcheux comportement lorsqu’elles décrochent.
En effet, l’onde de décrochage va commencer aux extrémités des ailes et va progresser vers l’intérieur. Le résultat est tout d’abord une perte prononcée du contrôle latéral de l’avion. Puis, comme la composante aérodynamique de la portance avance vers l’avant lors ce décrochage, l’avion aura une forte tendance à cabrer ce qui va accentuer le décrochage.
Autre effet, souvent méconnu, pour ne pas dire ignoré, c’est le comportement des ailerons. L’inclinaison latérale est réalisée par des surfaces mobiles se trouvant à l’arrière des ailes (bord de fuite). Pour qu’une aile monte, une surface va aller vers le bas, augmenter donc l’incidence de la tranche d’aile concernée et normalement augmenter la portance. Par contre, l’augmentation d’incidence ne s’accompagne par éternellement d’une augmentation de portance. Si une aile est à son incidence maximale, une augmentation plus loin de cette incidence va faire décrocher l’aile. Ainsi, l’aileron qui baisse, au lieu de rajouter de la portance à l’aile, il va la faire décrocher ! Au niveau des pilotes ça donne le ça : « j’ai tourné à droite et l’avion est parti à gauche. J’ai donc braqué à fond à droite et l’avion est parti à fond sur la gauche se retrouvant sur la tranche puis sur le dos ». Ce type de témoignage est rare sur un phénomène qui ne l’est pas. En général, ce genre d’histoires sont racontées par des CVR et des FDR dans la mesure où l’on arrive à les retrouver en bon état.
Par ailleurs, quand une aile s’enfonce, elle voit le vent relatif venir par le bas. Formellement, son incidence augmente. Si cette aile était au bord du décrochage, le fait de s’enfoncer va aggraver le phénomène et la faire décrocher entièrement. Pour les avions de ligne, il y a plusieurs niveaux de décrochage. Le premier niveau correspond à un décrochage des parties externes de l’aile. L’avion a toujours de la portance, mais il vibre et le contrôle latéral avec les ailerons n’est plus fiable. Ce niveau est déjà dangereux. En effet, si une aile décroche un peu avant l’autre à cause d’une rafale ou d’un braquage d’ailerons, l’avion risque de tomber l’aile en premier affichant une très forte inclinaison. Si on va plus loin en incidence, les parties les plus internes de l’aile décrochent, or, ces parties participent le plus à la portance. A ce moment là, l’appareil s’enfonce et le décrochage devient total, ou développé. Une fois cette situation réalisée, aucun pilote de ligne au monde n’a l’expertise pour récupérer l’avion à tous les coups. Seuls les pilotes d’essai qui réalisent ce genre d’exercices des centaines de fois – et pas en simulateur ! – sont capables de s’en sortir à tous les coups. Parfois, le décrochage total provoque des bruits aérodynamiques qui évoquent des coups de canon. Souvent les témoins au sol se basent sur ces bruits pour dire que l’avion qu’ils ont vu s’écraser a explosé en vol. Parfois, sous le coup de l’émotion, l’imagination humaine rajoute le feu et la fumée et des personnes qui voient un avion décrocher croient souvent qu’il vient d’exploser en vol. Les enquêteurs connaissent très bien ce phénomène.
Lorsque notre DC-8 commencent à ralentir, un technicien annonce au pilote :
– la vitesse de décrochage sera de 122 nœuds.
Vous êtes peut être demandé comment les pilotes d’essai arrivent à faire leur métier et partir à la retraite avec tout ce qu’ils font subir aux avions. Un des raisons qui expliquent cette longévité dans des conditions très adverses est que les pilotes d’essai lorsqu’on leur dit décrochage ils pensent « incidence » alors que les pilotes de lignes pensent « vitesse ». L’incidence est l’angle que fait l’aile avec la vitesse de l’air dans lequel elle avance. L’air vient, le plus souvent, par-dessous l’aile, sa vitesse formant quelques degrés avec le plan de celle-ci. On parle souvent d’angle d’attaque au lieu d’incidence. L’incidence n’a rien à voir avec l’assiette de l’avion. Qui est l’angle que fait l’axe longitudinal de l’avion avec l’horizontale. Quand l’incidence dépasse un certain degré, l’air ne peut plus contourner cette aile proprement et va s’en décoller. C’est à ce moment que ce produit le décrochage. La vitesse est une façon approchée et pas toujours fiable ni correcte d’approcher l’incidence. Comme la majorité des avions de ligne disposent d’un indicateur de vitesse mais pas d’un indicateur d’incidence, la vitesse est devenue l’unique moyen pour les pilotes de savoir où ils en sont par rapport au décrochage. Cette façon de travail est traîtresse et conduit souvent à des drames. Tel pilote qui croyait avoir 30% de marge par rapport à la vitesse théorique de décrochage, n’en était qu’à 5% en réalité. Il suffit d’un virage, d’une rafale, ou même d’un geste un peu agressif sur les commandes et c’est la chute.
Dans le DC-8, le décrochage attendu à 122 nœuds survient à 149 nœuds.
– Ca décroche ! déclare l’instructeur qui sent l’avion vibrer
– Déjà ! répond une autre personne qui n’a pas pu être identifiée par l’étude du CVR.
– On n’a même pas d’alarme ! lance le mécanicien de bord
Le CVR enregistre de forts bruits d’explosions. Les ailes ne sont pas les seules à décrocher. Les ailettes des compresseurs des réacteurs, comme leur nom l’indique, sont de petites ailes qui tournent au lieu d’avance. S’il y a une chose qu’elles n’aiment pas, c’est de recevoir l’air sous des angles élevés. Elles décrochent et provoquent des bruits sourds. Ce phénomène décrit souvent comme « sans danger » peut aller parfois jusqu’à la destruction du réacteur incriminé.
Le pilote aux commandes continue à tirer sur le manche. La vitesse passe bien en dessous de celle du décrochage et l’avion commence à s’enfoncer et à partir en décrochage total. Quelques secondes après l’échange plus haut, l’avion affiche un taux de descente de 6’000 pieds par minutes. Pris de panique, le pilote met les gaz à fond et s’acharne à tirer sur le manche pour forcer l’avion à voler. Sur le simulateur, c’est ainsi qu’il faisait et toujours il récupérait sont avion en quelques centaines de pieds de chute. La découverte de la réalité prend tout le monde à court. Le pilote cherche à corriger l’inclinaison, mais il ne fait qu’aggraver la situation. L’avion se retrouve à 75° degrés d’inclinaison et tombant comme un boulet vers le sol.
Grâce à l’émission continue du transpondeur de l’avion, le contrôleur aérien voit l’altitude baisser de façon vertigineuse. Comme il a du trafic plus bas, il appelle le DC-8 :
– C’est une descente en urgence que vous réalisez là ?
– Oui monsieur ! vient la réponse
Ce fut le dernier message de l’appareil. L’angle de piqué dépasse les 50 degrés. L’inclinaison arrive à 113 degrés et se stabilise. Cet angle, de l’ordre de 110 degrés, est très caractéristique des avions de ligne qui « tombent » l’aile en premier. Les pilotes se battent pendant une minute et demi avec l’avion. Mais la nuit n’est pas pour aider. Les références se perdent vite et c’est difficile d’interpréter une situation inusuelle à la lumière d’instruments affolés et dont les aiguilles affichent toutes des valeurs instables et peu cohérentes les unes avec les autres. De plus, dans les situations inusuelles, certains instruments arrivent à leur limite. Par exemple, la limite de graduation du variomètre d’un avion est de 6’000 pieds par minute. Si l’aiguille est bloqué sur -6’000 ceci peut signifier que l’avion tombe à 7’000 ou 20’000 pieds par minute. Toutes les options sont ouvertes. Le pilote ne verra le variomètre revenir vers une plage normale que s’il réussit à faire passer le taux de chute en dessous de la limite de mesure de l’instrument.
Les pilotes arrivent vers la fin à entamer un mouvement dans le bon sens. Mais l’altitude est presque toute consommée. Le GPWS qui sent le sol s’approcher commence à alerter l’équipage qui est déjà sur les dents : « Whoop ! Whoop ! Pull up ! Pull up ! ». Ce seront, comme souvent, les dernières phrases du CVR. Trois secondes après l’alarme, l’avion s’écrase sur le flanc d’une montagne boisée. Heureusement pour les occupants, la nuit cachait l’arrivée du sol, comme autrefois les cagoules cachaient le moment exact aux condamnés à mort.
trop fort mon ami