Cette semaine, un Boeing 777 d’Asiana s’est écrasé à l’approche sur l’aéroport de San Francisco. Sur les 303 occupants (291 pax + 12), une personne a trouvé la mort lors du crash et une autre a été tuée par un véhicule de secours qui lui roula dessus. Fonçant dans la fumée avec plusieurs centaines de personnes qui courent dans tous les sens, les pompiers avaient les statistiques contre eux. Il semblerait qu’ils aient raté leur approche de la scène. C’était la deuxième fois de la journée qu’une approche était ratée.
Les premières analyses des enregistreurs de vols laissent peu de scénarios possibles pour expliquer cet accident. Le pilote avait peu d’expérience sur ce type d’appareil. Pas plus de 46 (43 selon les sources) heures sur ce gros porteur et c’était le premier atterrissage de 777 qu’il réalisait dans sa vie. Cette inexpérience est à relativiser parce qu’il avait 9700 heures de temps de vol en tout et sur des avions de taille comparable (y compris Boeing 747). Il était accompagné par un instructeur qui avait obtenu sa licence depuis un mois mais avait une bonne expérience de Boeing 777.
Avant l’approche, l’équipage apprend que l’ILS de la piste 28L n’est pas opérationnel. Ce faisceau ILS est très important. A la base, il a été créé pour permettre l’atterrissage par faible visibilité. Par contre, même en temps clair, il permet de réaliser des atterrissages totalement ou partiellement automatisés et donne aussi des indications de position aux pilotes. Privé d’ILS, le pilote d’Asiana décide de faire l’atterrissage manuellement tout en se référant au reste des instruments. Il confie la gestion de la vitesse au système auto-manettes et n’observe son badin que de loin en loin. Vers la fin de la trajectoire, l’avion est indiscutablement trop bas et trop lent. La vitesse normale d’approche ce jour-là est de 137 nœuds. Le NTSB a déjà annoncé que la vitesse de l’avion était plus faible que 137 nœuds et ils précisent « beaucoup plus faible que 137 nœuds ».
L’avion se cabrait de plus en plus et le taux de chute augmentait. Un des membres d’équipage en position d’observateur criait depuis son siège « Sink Rate ! Sink Rate ! » durant la dernière minute de vol sans causer une réaction appropriée des pilotes aux commandes. Dans la situation de l’appareil, la seule et unique option disponible était de remettre les gaz et retenter une approche propre quelques minutes plus tard. Cette réticence à annuler une approche est l’un des grands tueurs de l’aviation civile aujourd’hui…
Question : les pilotes sont-ils capables de piloter leur avion manuellement ? Beaucoup le peuvent, mais ça ne semble pas être évident pour tout le monde. Oublions l’Asiana ; l’enquête ne fait que commencer.
La capacité des pilotes à manœuvrer manuellement les avions de ligne est une grande question qui revient régulièrement sur le devant de la scène. Les systèmes automatiques introduits massivement dans les avions depuis 25 ans ont nettement amélioré la sécurité des vols. En même temps, ils ont permis d’exploiter les avions de manière plus économique, plus facile et plus précise. Comme tout outil qui simplifie la vie, la dépendance n’est pas très loin. Essayez juste de vivre une semaine sans votre email ou sans votre iPhone.
Le 4 juin 2007, un équipage de la compagnie LOT a été obligé de piloter manuellement un 737 en conditions de vol aux instruments mais… sans instruments. Enfin, avec le minimum vital comme nous allons voir.
L’équipage avait commencé très tôt la journée pour un vol Varsovie – Londres. Une fois à Heathrow, le Boeing 737-500 immatriculé SP-LKA est orienté vers le parking 114. Ce détail a son importance. Plus tard, peu avant dix heures du matin, le copilote prépare le vol du retour vers la capitale de la Pologne. Dans ses cartes, il repère les coordonnées géographiques de la place de parking 114. Il entre cette information dans le clavier du CDU et celle-ci se retrouve chargée dans le mémoire du FMC, l’ordinateur qui gère le vol. Celui-ci utilise les coordonnées du parking pour initialiser rapidement la centrale inertielle. Le point où est stationné l’avion va servir de point de référence pour le calcul des mouvements de l’avion dans tous les axes. Sauf que ce jour-là, ce point de référence est faux.
Au lieu de rentrer la longitude 000° 26’ 53.72W dans l’ordinateur de gestion de vol (FMC), il va taper 000° 26’ 53.72E. L’aéroport de Heathrow est à l’ouest du méridien de Greenwich qui est utilisé comme origine des longitudes. La « petite » erreur E W donne 62 kilomètres sur le terrain. Si le point de départ, la place de parking, est faux toutes les données élaborées par les centrales inertielles seront aberrantes et inutilisables. C’est ce que l’équipage ne tarde pas de découvrir juste après le décollage.
A 9:43 le vol LOT 282 est autorisé au push-back. Le 737 est poussé par un tracteur ultraplat pendant que les pilotes mettent en route les deux moteurs. Comme d’habitude, il fait gris sur Londres avec des nuages très bas. Vers 10 heures du matin, l’avion attend son tour à près de l’entrée de la piste 09R. Neuf minutes plus tard, il reçoit l’autorisation d’entrer en piste et de décoller.
Environ 40 secondes après le décollage, l’avion rentre dans les nuages. Au même moment, les pilotes réalisent que l’affichage des écrans EHSI et EADI à droite et à gauche a disparu. En d’autres termes, les informations d’attitude et de navigation ne sont plus disponibles. Les pilotes sont replongés dans les années trente. Il leur reste les mêmes instruments qu’on trouve sur un avion basique d’aéroclub : un petit horizon artificiel à gyroscope intégré, un altimètre à capsule anéroïde, un badin à aiguille qui indique la vitesse et un compas magnétique. Sur les écrans principaux, les informations non inertielles comme l’altitude et la vitesse restent affichées correctement. Ce sont les mêmes instruments qu’on retrouve sur le DC3 ou le Lockheed Constellation. Ceci n’a pas empêché des générations de pilotes de les utiliser pour faire le tour du monde. Mais de nos jours, le pilotage comporte beaucoup de gestion et moins de travail manuel pur. Ceci ne pose aucun problème quand tout marche, mais au moindre souci, le retour aux basiques peut être difficile.
Bien sûr, les pilotes sont entrainés et testés sur leur capacité à piloter un avion avec une instrumentation réduite. Mais il y a une différence entre démontrer ce savoir à un instructeur et l’utiliser en conditions réelles. En réalité, les pilotes n’ont pas du tout l’opportunité d’affirmer et de maintenir cette habilité. Dans ce sens, l’accident de l’Air France 447 est aussi révélateur. L’exercice surprise consiste à retirer le pilote automatique et l’instrumentation à l’équipage puis de les leur donner de nouveau. Air France ou autre compagnie, le taux de survie est très faible.
Apparence de l’EADI du vol 282
Affichage normal d’un EADI. A comparer avec plus haut.
Privé de pilote automatique, le commandant de bord du vol 282 prend l’avion en main. Passant les 3000 pieds en montée, il contacte la tour de contrôle de Heathrow pour annoncer un « problème de navigation ». Le contrôleur lui demande s’il peut maintenir le cap 55 degrés. La réponse est affirmative et le vol reçoit une autorisation pour 55 degrés et 6000 pieds d’altitude. Pourtant, trente secondes plus tard, le radar montre le Boeing tracer vers le nord. Un peu plus tard, l’écart s’élargit encore et l’avion vol sur une erreur de cap de 90 degrés ! Le contrôleur rappelle le vol 282 :
– Volez au cap zéro cinq zéro, c’est un virage de quatre-vingt-dix degrés à droite
Les pilotes collationnent l’instruction mais quelques secondes plus tard, le radar montre l’avion volant plein ouest pratiquement à l’opposé de la route assignée. Le contrôleur essaye de donner des caps pour ramener l’avion sur une trajectoire d’approche de la piste 09R mais ceci échoue à chaque fois. Des erreurs énormes sur les directions font que l’appareil passe et repasse l’axe d’approche sans jamais pouvoir le suivre.
Suivi radar du LOT 282
A un moment donné, les contrôleurs élaborent un plan qui va sauver cet avion. Au lieu de donner des caps, ils disent aux pilotes « tournez à droite ! Commencez » puis quand le radar montre que l’avion est au cap désiré, ils disent « arrêtez de tourner ! ». Avec des instructions de type start/stop données sans arrêt, ils ramènent l’avion sur l’axe d’approche. A 10:32, le commandant de bord annonce « piste en vue ! ». C’est le soulagement pour tout le monde.
Le désastre a été évité de justesse. Le bureau d’enquête accidents britannique rappelle l’importance de faire attention aux longitudes quand on des aéroports de Londres qui sont si proches du méridien de Greenwich que l’erreur E W est facile à commettre. Ce qui facilite l’erreur est qu’en Europe, la majorité des aéroports ont une longitude est.
Au-delà de ce problème de navigation, il y a ici une évidence de lacune dans le pilotage manuel des avions. Au début de 2013, la FAA, après une longue étude du problème, a recommandé à tous les opérateurs d’encourager les pilotes à profiter des périodes de faible charge de travail pour déconnecter le pilote automatique et voler manuellement [source]. D’après une étude très sérieuse de l’université d’Etat de San Jose (Californie), la première habilité que les pilotes perdent est le contrôle de la vitesse.
Erreur dans la presse :
Dans la presse, il se répète que les pilotes avaient demandé, mais trop tard, l’autorisation d’annuler l’atterrissage.
Ceci est complètement faux. Les pilotes n’ont besoin d’aucune autorisation ATC pour annuler une approche instable et remettre les gaz. Ils le font et l’annoncent après. Chaque fois qu’un avion est autorisé à atterrir, le contrôleur s’assure que l’axe de remise de gaz est aussi libre juste au cas où. Une fois que les pilotes remettent les gaz, ils contactent le contrôleur qui va leur donner des vecteurs (directions) pour leur faire faire un tour et les ramener de nouveau sur l’axe d’approche pour une autre tentative.
Aller plus loin :
– Rapport d’incident LOT 282 [PDF en Anglais]
– Rapport de recherches de la San Jose State University [PDF en Anglais]
Remarque :
Techniquement, le cas de l’Asiana 214 ne rentre pas dans la catégorie « CFIT ». Le C dans CFIT suppose que l’avion était contrôlé. Ici, les pilotes ont vu le terrain et ne sont pas rentré dedans par inadvertance mais parce qu’ils n’y pouvaient rien. Ils n’avaient pas réellement l’avion sous contrôle. La proximité du sol, associée à une vitesse trop faible et à un taux de chute énorme ne plaident pas en faveur d’un vol contrôlé dans le sens propre du terme.