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USS Greeneville et Ehime Maru – Collision au large de Hawaii

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Les accidents liés aux facteurs humains se retrouvent dans tous les domaines de la technique, des transports et de l’industrie. La collision entre le sous-marin nucléaire d’attaque rapide USS Greeneville et le navire-école de pêche japonais Ehime Maru est un exemple typique. Ce drame provoqua la mort de 9 personnes et une vive tension entre les USA et le Japon. C’était le 9 février 2001, au large des côtes de l’archipel de Hawaii.

Le premier acteur du drame, le Ehime Maru avait appareillé le 10 janvier depuis le Sud du Japon avec à son bord 20 membres d’équipage, 13 étudiants et 2 enseignants. Ce navire de 58 mètres jaugeait près de 500 tonnes et servait d’école pour de futurs pêcheurs professionnels. La sortie dans le Pacifique était prévue pour durer 74 jours. Le Japon est classé le deuxième plus grand pêcheur au monde après la Chine, la formation des professionnels de ce secteur est une affaire très sérieuse.

 

Le navire de pêche-école Ehime Maru
Le navire de pêche-école Ehime Maru. 500 tonnes, 58 mètres.
 

L’USS Greeneville est un des fleurons de la flotte navale des Etats-Unis. Appartenant à la classe Los Angeles ce sous-marin déplaçait 7000 tonnes en immersion. Propulsé par un réacteur nucléaire fabriqué par General Electric, il était capable d’atteindre 15 nœuds en surface et plus de 35 nœuds une fois sous l’eau. Ces valeurs varient en fonction des sources. Les performances exactes sont protégées par le secret défense et n’ont jamais été communiquées au public. Ce poisson de 110 mètres de long a coûté de près de 1 milliard de dollars au contribuable américain.

 

USS Greeneville
Madame Gore, seconde femme des USA, aux commandes
de l’USS Greeneville à une précédente opération DVE
 

Le sous-marin quitte son port d’attache, Pearl Harbor, Hawaii, le 9 février 2001 aux ordres du commandant Scott Waddle. La mission du jour était d’impressionner des visiteurs civils triés sur le volet. En effet, à chaque élection il est question de démanteler une partie de l’arsenal militaire pour faire des économies et calmer la fiscalité galopante. Tout aussi régulièrement, les différents corps d’armée réalisent des opérations de communication touchant des personnalités très ciblées. L’idée est démontrer à un auditoire influent l’importance, sinon la nécessité, des fonds octroyés par le Gouvernement. Dans le jargon de la Navy, on parlait de programme DVE pour Distinguished Visitor Embarkation.

Ainsi, lors de sa fameuse sortie, l’USS Greeneville avait à son bord ses 106 membres d’équipage ainsi que 16 visiteurs. Parmi ces derniers, il y avait 14 présidents de grandes entreprises ainsi qu’un auteur sportif et son épouse. Tous ces civils se tenaient debout dans la salle de commande. Ceci créait, par nature, une situation très gênante pour l’équipage de conduite. En effet, la première impression qu’on a en entrant dans un sous-marin c’est que « c’est plein ! ». Il y a à peine de la place pour permettre l’installation et la circulation du personnel de bord. Le moindre espace est occupé par des tubes, des valves, des robinets ou des appareils de mesure et de navigation. A toutes les hauteurs, on trouve des écrans, des tableaux d’instruments, des leviers ou des vannes.

 

Le sous-marin USS Greeneville - AVSDU
L’AVSDU, l’écran de retour des sonars était en panne.
 

Dans la salle de commande, il y a foule. Les officiers qui mènent le sous-marin ne peuvent plus se déplacer, ni communiquer correctement. De plus, juste avant le départ de la mission, le commandant est informé que son écran de retour des informations des trois sonars d’attaque est en panne. Situé près du périscope, ce moniteur permet d’avoir une vue globale de la situation des bâtiments en surface. Il est décidé de partir sans prendre le temps de réparer cet équipement.

Il est 8 heures du matin quand le sous-marin glisse silencieusement vers le large. A 10:17, il atteint son point de plongée et s’enfonce dans les eaux du Pacifique. Immédiatement après, les invités sont conviés à un repas.

Le temps passe et les officiers sont nerveux. L’USS Greeneville doit être de retour au port à 14:30 pour le début d’une cérémonie officielle. En aucun cas il ne faut arriver en retard. Pourtant, ce n’est qu’à 13:10 que le commandant Waddle réussit à rassembler tout le monde dans la salle de commande pour le début de manœuvres de démonstration. Dès la fin de celles-ci, il prévoit de mettre le cap sur Hawaii à la vitesse maximale.

A la surface, le navire de pêche japonais croise à 11 nœuds et s’approche de plus en plus de la position du sous-marin. En même temps, à bord de ce dernier, le responsable du sonar décide de ne plus mettre à jour la position des contacts détectés. Comme il le déclare plus tard, le suivi de ceux-ci exigeait de nombreux déplacements et l’usage de plusieurs écrans. Ceux-ci étaient restreints ou cachés totalement par les visiteurs qui se bousculaient à bord.

 

Pendant un quart d’heure, le sous-marin réalise des manœuvres à pleine vitesse. Des virages sérés et des mouvements rapides dans le plan vertical donnent aux assistants une image impressionnante des capacités tactiques. Par la suite, le submersible remonte à 18 mètres de profondeur et le périscope est déployé. L’officier de pont commence à inspecter visuellement la surface mais les vagues, plus hautes que prévu, le gênent. Le commandant ordonne une remontée supplémentaire de quelques pieds et il se met lui-même au périscope. Alors que le Ehime Maru est à moins de 2100 mètres, il ne le voit pas. D’après les procédures de la Navy, l’inspection périscopique doit durer au moins 3 minutes et balayer un cercle complet. Ce jour là, le commandant avait fait un rapide tour visuel qui dura un peu plus d’une minute.

Dernier élément qui vient ficeler ce drame, c’est la perte des cibles sonar. En effet, après des manœuvres rapides, le sous-marin perd les bâtiments en surface. Il lui faut tenir un cap stable pendant au moins trois minutes pour permettre leur localisation à nouveau. Pressé par le temps, Scott Waddle ne laisse l’USS Greeneville que 90 secondes en ligne droite puis il vire et décide de passer au clou du spectacle.

En entendant le commandant dire qu’il ne voit aucun navire en surface, l’officier responsable des sonars doute de ses calculs et efface la cible S-13. C’était le Ehime Maru.

Une descente d’urgence amène le submersible à 120 mètres de profondeur. Puis, on explique aux civils qu’on va réaliser une remontée d’urgence. Pour réaliser cette manœuvre, de l’air sous pression est brutalement injecté dans les réservoirs de ballast. Des tonnes d’eau en sont chassées et le sous-marin acquiert soudainement une flottabilité positive. Il se cabre et commence à aller très rapidement vers la surface. Dans cette position, la poussée de l’hélice sert aussi à propulser le sous-marin vers le haut. La proue crève l’eau en premier. Elle se lève assez dans l’air puis retombe dans une gerbe de vagues et d’écume. Pour les personnes présentes dans le sous-marin, l’effet des accélérations est voisin de celui que procurent les manèges de type montagnes russes.

Dans la salle de commandes de l’USS Greeneville, deux civils sont encadrés par l’équipage pour lancer eux-mêmes la manœuvre. Sur l’ordre du commandant, ils poussent les leviers et le sous-marin commence sa rapide ascension comme un bouchon de liège lâché du fond d’une baignoire.

 

Remontée d'urgence
Remontée d’urgence réalisée par l’USS Pittsburgh. C’est un des premiers sous-marins
de classe Los Angeles (remarquez les ailerons que les nouveaux modèles n’ont plus).
 

En 40 secondes, il arrive à la surface. La proue surgit sur le coté de l’Ehime Maru puis en retombant, elle propulse l’arrière du sous-marin vers le haut. Le mouvement est brutal et puissant. La gouverne de direction de l’USS Greeneville éventre le navire de pêche de part en part. Celui-ci, malgré ses 500 tonnes, se soulève presque à la verticale et retombe dans l’eau et commence immédiatement à couler.

Les marins survivants se jettent dans l’océan et s’accrochent à des radeaux de secours sous l’œil compatissant de Scott Waddle qui les observe au périscope jusqu’à ce que le navire de pêche sombre totalement cinq minutes plus tard. Il lance alors un message de détresse au COMSUBPAC, le commandement de la flotte submersible du Pacifique. Ce dernier le relaie immédiatement aux gardes cotes qui se ruent sur le lieu de l’accident. Trois quarts d’heure après l’impact, un Zodiac rapide est sur les lieux. Immédiatement suivi par un navire de patrouille puis par les incontournables hélicoptères des médias.

 

Le sous-marin USS Greeneville
Le sous-marin USS Greeneville en cale sèche après la collision
 

Le patrouilleur ramasse les 26 survivants qui s’entassaient dans les radeaux. Seul l’un d’entre eux est sérieusement blessé. Il souffre d’une clavicule cassée. Manquent à l’appel neuf personnes dont 4 étudiants de 17 ans. Aucun rescapé ne les a vu. Selon le commandant japonais, ils étaient  peut être dans la salle des machines et la cuisine dans le pont inférieur et n’ont pu s’échapper à temps. Les recherches sur zone durent 22 jours puis elles s’arrêtent quand tout espoir est perdu.

L’USS Greeneville est peu endommagé. Seule une partie de son revêtement acoustique est à refaire. Sa coque en acier HY-100 n’a pas souffert. Il quitte la zone sous ses propres moyens et sera mis plus tard en cale sèche pour inspection complète. Personne à son bord n’est blessé, mais la catastrophe a été évitée de justesse. Si la collision avait eu une configuration différente, ça aurait pu être le sous-marin et ses 122 occupants qui aurait sombré.

Au Japon, le premier ministre Yoshiro Mori est informé de l’accident alors qu’il joue au golf. Il décide de continuer sa partie et ne vient aux nouvelles qu’une heure et demie plus tard. Détesté et réputé d’être un homme sans cœur, ce fut la dernière gaffe de sa carrière politique qui se termina quelques semaines plus tard. Ce ne fut la seule carrière à se terminer. Le jour de l’accident, Scott Waddle fut retiré de son commandement en attendant les suites de l’enquête. Celle-ci eut un volet militaire, mais également un volet civil sous la responsabilité du NTSB puisque qu’un navire de commerce a été impliqué.

L’affaire prend rapidement une ampleur nationale au Japon. Deux jours après les faits, le 11 février 2001, le Président des Etats-Unis, Georges Bush, présente les excuses de sa nation dans une élocution télévisée. Le Secrétaire d’Etat Colin Powell et le Secrétaire de la Défense Donald Rumsfeld présentent des excuses publiques également.

Dans un contexte chargé d’émotion, les reproches pleuvent sur le commandant Scott Waddle dont l’administration n’a d’options que de le soustraire de la scène. On s’étonne de son manque de compassion envers les victimes, de sa mauvaise gestion du sous-marin, du fait qu’il n’a pas cherché à porter secours aux naufragés, du fait qu’il a laissé les commandes à des civils non qualifiés… certaines familles endeuillées vont jusqu’à le qualifier de criminel.

Un mois plus tard, il passe devant une commission militaire  Vu qu’il n’y avait pas d’intention criminelle, la commission ne recommande pas la mise en place d’une cour martiale pour le cas. Par contre, de nombreux manquements sont relevés dans le comportement de Scott Waddle. Il n’avait pas respecté les procédures de la Navy. Il avait laissé s’installer un nombre important de négligences individuelles. Il n’avait pas tenu compte de la panne de l’écran de retour des sonars. Il avait crée une urgence artificielle et zappé les mesures de sécurité élémentaires. Il était trop sur de lui. Il était trop complaisant envers les personnalités présentes… la liste est longue et signifie une seule chose pour lui : la Navy, c’est fini.

Les autorités militaires US font des efforts sans limites pour prouver leur bonne volonté au peuple japonais. Pour comprendre l’enjeu, il faut situer le contexte. En fait, depuis qu’il a regagné sa souveraineté en 1951, le Japon a signé des traités de coopération et de sécurité mutuelle avec les USA. Les accords stipulent que c’est l’armée US qui est responsable de la défense du territoire nippon. Celle-ci bénéficie de bases locales où elle stationne son personnel et ses équipements ainsi que d’une cotisation de sympathie de 2 milliards de dollars. Cependant, en quelques décennies, les soldats américains ont été impliqués dans plus de 200’000 offenses allant de l’accident de la route au meurtre gratuit en passant par le viol sur mineur. Chaque occurrence vient nourrir le ressentiment des populations locales. De plus, comme ces soldats sont protégés par un statut particulier, ils ne sont pas jugés selon les lois de leur pays d’accueil, mais par celles de leur corps d’armée. Les peines faibles ou symboliques en regard des faits entretiennent la frustration et l’animosité de ceux qui veulent voir partir l’armée US.

Aussi, quand un sous-marin de la Navy fait couler un navire civil japonais, c’est toutes les composantes du contexte tendu qui arrivent au premier plan. Rien que la durée des recherches sur un cas où le sort des victimes ne fait aucun doute donne une juste idée de l’embarras des autorités américaines. En juin, il est même décidé de remonter le navire coulé. Celui-ci gît par 610 mètres de fond. Deux entreprises, dont Smit International des Pays Bas, sont contractées pour l’intervention. Jamais un objet aussi lourd n’a été cherché d’aussi loin sous l’eau. En fait, le Ehime Maru n’est jamais réellement sorti. Il est tout d’abord remonté à 35 mètres de profondeur puis tiré jusqu’à une zone côtière où une centaine de plongeurs vont à son exploration. Pendant un mois de recherches, les corps de 8 marins décédés sont remontés. Le neuvième ne sera jamais retrouvé. De nombreux effets personnels ainsi que l’ancre et une plaque portant le nom du bateau sont également repêchés. Par la suite, le navire de pêche est encore soulevé et tiré vers le large. Arrivé dans une zone où la profondeur dépasse les 1800 mètres, ses liens avec la barge sont coupés et il entame son dernier voyage vers les profondeurs de l’océan Pacifique.

 

Le Scorpio II
Le sous-marin téléguidé Scorpio II est mis à l’eau pour une première visite de l’épave.
 

 

Ehime Maru
Les premières images du Scropio II prises par 610 mètres de profondeur.
 

 

Ehime Maru Plongeurs
Les plongeurs inspectent le Ehime Maru posé par 35 mètres de profondeur.
 

 

 

USS Greeneville
L’USS Greeneville en cale sèche. Remarquez comme l’hélice est protégée par un cache.
Sa forme et sa composition est un secret défense (de polichinelle).
 

 

 

USS Greeneville hélice
Image très rare montrant l’hélice à 7 pales d’un sous-marin de classe Los Angeles.
 

Audio :
– Message d’urgence tel que relayé en clair par le COMSUBPAC aux gardes cotes. Le texte en Anglais : “Coast Guard, uh, this is, uh, COMSUBPAC Pearl Harbor. We have a vessel that has had a collision approximately nine miles south of Diamond Head. A commercial ship with a submarine. Vessel has sunk. Uh, people are in the water. The rough seas may prohibit submarine from …”. Dont la traduction en Français serait : “Gardes Cotes, ici le COMSUBPAC Pearl Harbor. Nous avons un vaisseau qui a eu une collision approximativement À 9 miles au sud de Diamond Head. Un navire commercial avec un sous-marin. Le navire a coulé. Des gens sont à l’eau. La mer difficle pourrait empêcher le sous-marin de… [porter assistance]”

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