Parmi tous les avions militaires, le Grumman F-14 est probablement le plus connu du grand public grâce à sa participation dans de nombreux films et séries comme Top Gun. Lancé depuis des portes avions dont il se chargeait de la protection dans un rayon de 500 miles nautiques, cet appareil servait comme chasseur de supériorité aérienne, comme intercepteur et comme avion de reconnaissance tactique. Son domaine de vol depuis le catapultage jusqu’a mach 2.34 était très large. Ceci exigea l’utilisation d’ailes a géométrie variable qui étaient dotées de volets et de slats pour l’approche ou le décollage.
Ses deux réacteurs General Electric F110 ou Pratt & Whitney TF30 à post-combustion lui donnaient plus de poussée que celle dont dispose un Boeing 737-500. Cependant, cette notion est à relativiser : le bébé est très lourd. Encore une fois, c’est un avion militaire. Ce n’est pas encore un tank volant, mais presque. Avec un poids maximal au décollage dépassant les 33 tonnes, ses pilotes se plaignaient de son manque de puissance lors des manoeuvres tactiques.
F-14A au decollage. Remarquez la distance entre les deux moteurs.
Ses moteurs, au nombre de deux, lui font connaitre quelques soucis. Tout d’abord, ils sont assez distants l’un de l’autre. En cas de panne moteur obligeant le pilote à voler soudainement à N-1, la perte de symétrie déstabilisait fortement l’avion. Pire encore, si l’appareil est trop lent et trop cabré, le moment crée par le moteur restant est trop fort et ne peut être équilibré par les deux gouvernes de direction ! Aucun avion civil ne serait certifié avec une telle caractéristique. Il eut fallu avoir des gouvernes de direction plus grandes, mais ceci n’a pas été jugé possible eu égard aux autres critères du cahier de charges.
Géométrie variable.
L’aile est equipée de slats et de volets.
Autre problème de cet appareil, c’est la sensibilité excessive de ses moteurs à l’orientation du flux d’air arrivant dessus. Le moindre vol non coordonné, le moindre dérapage, présentait un risque concret de voir un des réacteurs s’éteindre après un pompage du compresseur.
Les parties chaudes des moteurs devaient être remplacées toutes les 750 heures. Par contre, 75% des moteurs ne dépassaient pas les 600 heures sans changement de leurs parties chaudes. Celles-ci étaient démontées suite à des pannes, vibrations, consommation excessive d’huile… etc.
Seule l’armée iranienne opere le Tomcat de nos jours. Par contre, a cause de l’embargo
ils ne peuvent obtenir de pieces de rechange.
Cette conception coûta la vie au Lieutenant Kara Spears Hultgreen, la première femme pilote de chasse sur un porte avion.
25 octobre 1994, Pacifique Nord
L’accident arriva en approche sur l’USS Abraham Lincoln. Celui-ci croisait à 15 noeuds face au vent avec l’Officier de barre rectifiant progressivement le cap depuis le 333 au 330 vrai.
Le F-14 était dans le plan de descente avec les ailes à leur position maximale avant (20 degrés forward) avec volets et slats déployés. A un moment donné, la pilote sentait qu’elle perdait progressivement l’alignement avec l’axe de piste. Elle donna un coup de palonnier pour corriger la trajectoire. N’importe quel pilote en aurait fait autant. L’avion accusa un dérapage qui fut rapidement fatal au réacteur gauche. Le compresseur décrocha et après quelques séries de fortes explosions, le moteur s’arrêta.
L’USS Abraham Lincoln est propulse par 2 reacteurs nucleaires de chez Westinghouse.
Ils peuvent lui fournir de l’energie pendant 23 ans.
L’Officier Signaleur sur le pont de l’USS Abraham Lincoln lui ordonna d’annuler l’approche et de rentrer le train d’atterrissage. En effet, sur un porte avion, la chose qu’ils ne veulent à aucun prix, c’est un crash sur leur piste. Même en cas de question de vie ou de mort, ils préfèrent autant un avion dans l’eau.
Elle tira sur le manche et remit les gaz sur le moteur restant. Par contre, il lui fut reproché d’avoir enclenché la post combustion. Ceci doubla la puissance du moteur fonctionnel et accentua encore l’asymétrie. Même avec le palonnier droit totalement enfoncé, l’avion commenca à s’incliner de plus en plus sur la gauche tout en perdant de l’altitude. Aucune action ne fut entreprise pour rentrer le train d’atterrissage.
L’Officier Radar (RIO) était en alerte. Dans un premier temps, il pensa que l’avion allait repartir. Puis, il commença à douter. Au moment où il vit que l’appareil passait en dessous du niveau du pont du navire, il lança le système d’éjection des deux sièges. Dans les procédures de l’US Navy avant chaque vol, un membre d’équipage est désigne comme la personne en charge des éjections. C’est celui-ci qui décidera de l’abandon de l’avion s’il juge la situation irrécupérable. De plus, le RIO n’a pas d’instruments moteur dans son cockpit. Il est donc coupé de la chaîne de contrôle de ceux-ci. Il compte sur le pilote pour lui communiquer à travers le système de communication interne (ICS) toute anomalie. Hultgreen ne lui dira rien ce jour là. A aucun moment lors du crash il ne comprit que l’appareil volait sur un seul moteur.
La verrière du RIO fut arrachée par les explosifs d’éjection et des fusées poussèrent son siège le plus loin possible de l’avion. A ce moment, l’appareil avait 50 degrés d’inclinaison à gauche avec le nez 10 degrés sous l’horizon.
Le Lieutenant Hultgreen n’eut pas autant de chance. Le système se déclanchant juste 4 dixièmes de seconde plus tard pour elle, l’éjecta au moment ou l’avion était à 110 degrés d’inclinaison gauche avec le nez a 25 degrés sous l’horizon et seulement 55 pieds de hauteur. Elle fut éjectée vers l’eau qu’elle percuta à une vitesse estimée à 260 km/h et fut tuée sur le coup.
La séquence d’éjection est la même peu importe qui la lance en premier. Tout d’abord, c’est le RIO assis a l’arrière qui est éjecté de son cockpit suivi, 0.4 secondes plus tard par le pilote assis dans le cockpit avant. Le décalage entre les deux éjections évite que les deux sièges ne soient percutés l’un contre l’autre. Pour plus de sureté encore, le RIO est éjecté vers la droite et le pilote vers la gauche*.
* Comme l’avion etait deja bien incline a gauche, le fait que le siege soit ejecte aussi vers la gauche signifiait pour la pilote une ejection vers le bas presque perpendiculairement a l’eau.
L’avion percuta l’eau à environ 165 degrés d’inclinaison, pratiquement sur le dos, et le nez à 70 degrés sous l’horizon.
Du pont de l’USS Abraham Lincoln, deux helicos prirent leur envol et balancèrent des nageurs de combat à l’eau. La procédure ne laisse pas de place à l’improvisation. Elle est repetee lors de l’entraînement jusqu’à ce que chaque geste devienne un automatisme qui peut se réaliser sans hésitation ou perte de temps. Ces dispositifs de secours très performants font partie du contrat de confiance entre les divers corps de l’armée des Etats-Unis et son personnel. C’est une des principales différences entre cette armée et celles des pays du Tiers Monde qui laissent tomber leurs hommes sans hésitation.
L’Officier RIO fut repêche 4 minutes et 29 secondes après son éjection par un hélicoptère Sikorsky SH-60 Seahawk. Par contre, le Lieutenant Kara Spears Hultgreen ne fut sortie de l’eau que dix neuf jours après le crash. Son corps fut retrouvé encore attaché au siège éjectable Martin Baker par plus de 1100 mètres de profondeur. En temps normal, la séquence d’éjection sépare le pilote de son siège. Par contre, l’impact contre l’eau vint arreter le mécanisme.
SH-60 Seahawk
Le rapport d’accident a été classé secret défense mais ceci ne mit pas pour autant fin aux spéculations et aux “fuites” plus ou moins orchestrées. Un jour, c’est tout le rapport qui se retrouva balancé au public.
Le rapport révèle que le Lieutenant Hultgreen avait 1242 heures de vol en tout dont 218 sur le F-14A ainsi que 58 atterrissages sur porte-avions. Certains critiquèrent l’armée pour avoir lâché Hultgreen sur cet avion alors que son expérience de vol n’était pas suffisante pour le piloter en toute sécurité. Le but aurait été de se servir de son image pour promouvoir le rôle des femmes dans l’armée. Neanmoins, il est clair qu’à partir moment ou l’avion avait eu une panne moteur à basse vitesse, il était perdu. La seule option restait de s’éjecter en laissant l’oiseau s’écraser a la mer.
On apprend aussi que le F-14 est doté d’un système qui augmente la stabilité des réacteurs en prélevant l’air a certains étages compresseur et en le redistribuant a d’autres étages qui en ont besoin. Chose inconnue aux pilotes, une valve de prélèvement était bloquée en position fermée sur le moteur de gauche. Ceci réduisait de 26% la marge vis-à-vis de l’instabilité. Ainsi, sans donner plus de palonnier que ce qu’elle avait l’habitude de faire, Hultgreen s’est retrouvée brutalement privée de moteur.
Tomcats sur le pont du Big E, l’USS Enterprise