Christian était passionné d’aviation et rêvait depuis toujours de créer sa compagnie de transport aérien. Dès la première phase de son projet, il se transforma en homme orchestre intervenant sur tous les aspects d’un dossier qui grandissait de jour en jour. Il gérait les contacts avec les banques, les investisseurs, les fournisseurs d’avions, les futurs clients… etc. Une fois sa boite lancée, il continua à jongler avec les responsabilités, mais cette fois, dans un environnement qui ne pardonne rien.
Lemanair Executive a été officiellement fondée en 1997 même si à ce moment, elle ne possédait encore aucun avion. Elle commença ses opérations en mars 2000 avec un bimoteur a piston de type Piper 31-350 immatriculé HB-LTC loué à une société suisse de leasing. Le 26 mai 2000, l’avion s’écrasa suite à une incroyable série d’erreurs mettant ainsi fin au rêve.
L’appareil avait commencé son programme du jour en réalisant un vol entre Béziers, dans le Sud de la France, et Zurich. En plus de Christian aux commandes, avaient pris place sept jeunes femmes se rendant à un concours de beauté. L’atterrissage eut lieu à 19:10 locales, c’était le dernier vol complet de l’appareil.
Resté seul sans son cockpit, le pilote, qui est en même temps l’administrateur de la compagnie, s’occupa à remplir des documents. Une compagnie aérienne, même petite, implique beaucoup de bureaucratie. En même temps, il commanda du carburant pour rentrer à Genève où il est normalement basé.
La veille de l’accident, le 25 mai, avant de partir pour Béziers, au même endroit, il avait déjà commandé du carburant à la compagnie Jet Aviation. Au moment, de la livraison, le préposé avait eu son attention attirée par les winglets aux extrémités des ailes. De son expérience, il n’avait vu cela que sur les avions équipés de moteurs a réaction ou de moteurs de type turbopropulseurs. Il s’enquit auprès du pilote au sujet des moteurs. Ce dernier lui signala le carénage rectangulaire des moteurs signifiant que ceux-ci sont plutôt à pistons. Il lui expliqua que le Piper avait subi des modifications techniques touchant uniquement la cellule mais pas les moteurs.
Carenage rectangulaire sur les moteurs a pistons. Les cylindres sont
opposes a plat sur deux lignes donnant cette allure au moteur. Ici, il faut de l’Avgas 100 LL.
Piper PA-31T equipe de moteurs a turbines. Remarquez le carenage arrondi.
Moteur a turbine sur un Kingair. Forme arrondie, une seule entree d’air.
Par ailleurs, l’helice est facile a tourner a la main parce qu’il n’y a pas de compressions.
En fait, ce Piper 31 tel qu’il était modifié avait de la gueule. Il en avait tellement que de nombreux employés de l’aéroport pensaient qu’il avait des turbopropulseurs. Fatalement, un jour ou l’autre, l’un d’eux allait tenter d’y avitailler du JET A1 au lieu de l’Avgas 100. Erreur mortelle si elle devait arriver. Facteur aggravant, cet appareil avait été spécialement importé des USA et ne faisait pas partie des avions qu’on voyait régulièrement et avec lesquels on était familier dans les aéroports suisses. La confusion la plus probable est avec le Piper PA-31T qui, lui, a bien des moteurs à turbines.
Le 26 mai, quand le camion FL 7 se présente pour la livraison, le pilote ne sort pas immédiatement à sa rencontre. Il semble avoir la tête dans ses papiers. Le préposé se gare en face de l’avion, lui présentant son flanc droit, a une position lui permettant d’atteindre les deux réservoirs d’ailes avec le tube. Sur la citerne, un panneau affiche en blanc sur noir : JET A1. Il n’attire pas l’attention du pilote.
Exemple de positionnement d’un camion citerne. Le prepose peut atteindre les deux
ailes avec le tube sans devoir deplacer le vehicule durant la manoeuvre.
Camion citerne utilise le jour du crash. Remarquez le placard noir indiquant
JET A1 en lettres blanches (10 x 38 cm).
Une fois le dispositif en place, le pilote s’approche d’un des préposés et lui annonce la quantité dont il a besoin tout en lui présentant une carte de crédit. Comme l’employé l’informe qu’il a besoin de se rendre au bureau pour passer la carte à la machine, le pilote s’impatience expliquant qu’il a un slot à respecter. S’il rate son heure de départ, il peut avoir à attendre un long moment avant d’obtenir une nouvelle autorisation pour Genève.
Il commence à pleuvoir, Christian remonte dans le cockpit et utilise son téléphone portable pour passer un appel d’une minute et demi à sa campagne. Probablement pour annoncer qu’il va bientôt rentrer à la maison.
Pendant ce temps, les pompes du camion envoient 50 litres de Jet A1 dans chaque réservoir !
Quand le bon de livraison est présenté au pilote, il le signe sans le lire. La quantité et le type de carburant y sont indiqués sans équivoque.
Alimenter un moteur à essence en kérosène, c’est comme l’alimenter en eau potable : il s’arrête net. Pour autant, il y a encore un espoir. L’espoir que l’avion roule assez longtemps pour que ses puissants moteurs consomment tout l’Avgas qui reste dans les tubes et s’arrêtent pendant le roulage une fois que le kérosène arrive dans le carburateur.
L’étiquette à droite indique le type de carburant. Trop discrète.
L’employé n’a même pas remarque son existence !
A 20:10, le pilote obtient l’autorisation de mettre les moteurs en route. Moins de 4 minutes plus tard, il rappelle pour se déclarer prêt au roulage. Zurich est habituellement un aéroport surchargé, mais ce jour la, le trafic est étrangement fluide. Immédiatement, le Piper est autorise à rouler pour la piste 28. Il y arrivera très vite. A 20:17:30, le pilote annonce sur la fréquence de la tour qu’il est aligne et prêt au décollage.
A 20:20:58, l’ordre fatal tombe : l’avion est autorisé à décoller. L’appareil s’aligne et l’accélération à pleine puissance semble normale. Il s’élève et le train d’atterrissage se rétracte. A environ 50 mètres du sol, soudainement, les moteurs s’arrêtent. Les pannes sont simultanées à la seconde près.
Pour le pilote, la surprise est totale. Bien sûr, s’il avait eu le temps, même une minute, pour considérer la situation, y réfléchir et trouver un plan d’action, il aurait décidé de pousser sur le manche, gardé les ailes horizontales et atterri en fortune dans un champ en bout de piste. Plusieurs se trouvent tout droit à quelques secondes de vol plané. Le pilote n’a le temps de réfléchir. C’est une des rares circonstances où la réaction doit précéder une réflexion profonde. Les pilotes ont un truc pour ça : le briefing avant décollage.
En effet, le décollage est l’un des phases les plus critiques dans le vol d’un avion. Le sol est proche, la vitesse faible et les moteurs soumis à un stress considérable. Si on décolle en réfléchissant a son programme de demain, a un incident arrive la veille… etc. et qu’un problème survienne a ce moment la, les lois de la physique sont claires : il n’y a pas le temps de revenir dans la boucle, faire une analyse de la situation et réagir. Dans les compagnies sérieuses, les pilotes font un briefing avant le décollage ; c’est plus qu’un rituel. Son but est de ramener dans la mémoire à court terme toutes les actions qu’il faudrait faire si une situation d’urgence venait à se produire lors du décollage. L’analyse elle, se fait tout le long de la manœuvre par une observation régulière des instruments. Si la panne redoutée arrive, le bon geste part avant même que l’alarme ne devienne intellectuelle. Ce n’est que ça. Il n’y a ni bon, ni mauvais pilote mis a part le respect des concepts de base.
Une fois que les moteurs s’arrêtent, le pilote se retrouve dans une phase de stupeur, de surprise et également de déni. Dans un premier temps, il maintient son assiette de départ. L’avion ne descend pas mais troque de la vitesse pour maintenir son altitude. Puis, c’est la décision fatale : faire demi-tour pour revenir atterrir sur la piste. Les avions planent bien quand ils ont les ailes horizontales. Par contre, en virage, ils tombent bien plus vite. A basse altitude, on peut, à la rigueur, altérer un peu sa trajectoire pour éviter un obstacle, mais ne jamais se lancer dans d’importantes manœuvres.
Les premiers 90 degrés se passent plutôt bien. Décollant à pleine puissance avec une seule personne a bord et les réservoirs partiellement remplis, l’avion avait pu acquérir une bonne marge de vitesse. Par la suite, l’inclinaison s’accentua ainsi que la perte de vitesse. De plus, le pilote décida de sortir le train d’atterrissage et passa 2 messages radio au contrôleur aérien.
La panne a eu lieu a l’intersection des pistes. Le pilote a commence un demi tour a
gauche en sortant le train d’atterissage.
Ne jamais faire ca, c’est mortel !
A la fin de son demi-tour a gauche, l’avion est à 10 mètres de hauteur et fait face à un bosquet d’arbres impossible à éviter. Il se prend dedans, laisse une partie de ses ailes dans la végétation et en sort sur le dos pour aller finir sa course dans une rivière a quelques dizaines de mètres de la.
Trajectoire du HB-LTC apres le passage dans les arbres.
La décélération est violente, mais pas terrible. La rivière Glatt faisant à peine un mètre de profondeur sur le lieu du crash, suffit pour amortir le choc sans présenter de risques de noyade. L’accident est même classé comme survivable par les enquêteurs locaux.
Ce n’est pas fini. Il y a encore un autre maillon dans cet enchainement implacable dont toute la finalité semble être la revendication de la vie du pilote. La ceinture de sécurité, de même type que celles qu’on trouve dans les voitures, a un problème que personne n’avait remarqué lors des contrôles techniques. Lors d’un choc, l’enrouloir doit bloquer. Pour s’en rendre compte, il suffit de tirer un coup sec sur la ceinture et elle doit s’arrêter net. Comble de la malchance, sur ce Piper, la ceinture de sécurité avait un dispositif usé qui ne remplissait pas son rôle. Même en cas de choc très fort, la ceinture se déroulait sans offrir la moindre résistance.
A l’impact, le torse du pilote est projeté contre le tableau de bord et les commandes. Le cœur prend un coup qui casse la branche antérieure de l’artère coronaire inter ventriculaire gauche. Il n’y a pas de redondance dans l’irrigation du cœur humain. Chaque artère coronaire non fonctionnelle, signifie une zone du cœur privée de sang et donc de ressources. Dans le cas précis, c’est la moitie du ventricule gauche qui ne travaille plus. Il reste quelques secondes, ou quelques minutes de vie tout au plus. C’est irrémédiable.
Apres l’impact, le pilote déboucle sa ceinture de sécurité et rampe vers l’arrière de l’appareil dans l’espoir de trouver une sortie. C’est la que le trouvent les services de secours arrives sur les lieux en quelques minutes. Ils coupent la tôle de l’avion et ne peuvent que constater le décès du pilote.
Lemanair cessa de fait toute activité et l’année d’après, elle fut mise en liquidation. Christian avait volé 9 heures en tout sur l’aviation accidenté.
Autre explication :
Il est étonnant de voir le nombre de fois que le pilote a raté l’occasion de voir qu’on livrait du JET A1 au lieu de l’AVGAS 100 LL. Le Jet A1 taxé était même près de 40% plus cher que l’Avgas 100 LL acheté la veille pour aller a Béziers. Les techniciens de l’entreprise de services sont certains d’avoir reçu un appel du pilote pour leur commander du JET A1. Il est possible que le pilote ait commis au départ l’erreur de penser qu’il avait besoin de JET A1 pour son appareil. Il ne révisa jamais son jugement par la suite et toutes les démarches qu’il réalisa étaient cohérentes avec son objectif de départ. Ceci semble plus probable qu’une chaine constante de confusions entre les deux carburants.
Au sujet de l’avitaillement :
L’erreur commise ce jour la est arrivée a l’issue d’un risque connu qui n’a jamais été correctement maitrisé comme les événements sont venus le prouver. Suite a de nombreux incidents partout survenus partout dans le monde, il avait été décidé de créer une norme régissant le diamètre de l’entrée des réservoirs et celui des pistolets équipant les camions citerne.
A l’initiative de la FAA, des les années quatre-vingt, on commença à réduire la taille des entrées de réservoirs des avions consommant de l’Avgas. Pour ceux déjà en service, une plaque circulaire munie d’un trou plus étroit était fixée a l’entrée du réservoir. Pour le Piper 31, la FAA avait émis une directive de navigabilité AD 87-21-01 qui rendait cette intervention obligatoire des 1987 et elle fut effectivement réalisée. Ce n’est pas suffisant, il fallait également que les camions citerne de JET A1 soient équipés de pistolets de 3 pouces de diamètre et ceux d’AVGAS de pistolets significativement plus petits. Cette façon de faire rendrait physiquement impossible toute erreur de livraison.
Pour faire bien les choses, Jet Aviation avait changé la taille des pistolets de livraison comme suite :
– JET A1 : 67 millimètres
– AVGAS 100 LL : 45 millimètres
Avec cette configuration, il était impossible de commettre l’erreur de livraison.
Cependant, pour que ce système marche, il faut que tout le monde joue le jeu. Ce ne fut pas le cas ! A Zurich, se présenté de nombreuses fois des avions nécessitant du JET A1 mais ayant des entrées de réservoir de faible diamètre. Pour pouvoir les servir, le camion avait été donc été modifié et des pistolets de 45 millimètres installés dessus.
En haut, le tube JET A1 reglementaire elargi a 67 mm. Il ne peut
aller dans un reservoir AVGAS 100 LL reglementaire. En bas, le tube utilise le jour de l’accident.
Demonstration : le tube reglementaire elargi n’aurait pas pu rentrer dans
l’ouverture du reservoir du Piper accidente.
Remarque :
Je connaissais personnellement Christian. J’avais fait une partie de mes études d’aviation avec lui à l’école des Ailes à Genève. Nous préparions une licence de pilote professionnel IFR. La dernière fois que je l’ai vu, c’était sur le parking d’aviation générale de l’aéroport de Genève Cointrin. Il devait partir pour un vol local d’entrainement avec un instructeur a bord d’un avion de type bimoteur Partenavia P.68
L’enseignement en Suisse était de bonne qualité mais avec aucun focus sur ce qui doit de passer au sol. L’esprit était que le vol commence une fois que l’avion est aligné sur la piste. Par exemple, après avoir vole avec de nombreuses personnes, je n’ai pas assiste une seule fois a quelque chose qui ressemblait a une visite pré-vol. Je pense que Christian a été victime de cette culture.