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Crossair vol CRX 498 – Désorientation Spatiale

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Contrairement à ce qui était prévu, le passage à l’an 2000 ne provoqua ni bugs en série, ni catastrophes planétaires. Néanmoins, pour la commune de Nassenwil dans le canton de Zurich, le désastre tant redouté se produisit. Le crash du CRX 498 vint au milieu d’une série de drames frappant l’aviation helvétique et qui firent voler en éclat le mythe de la perfection.

Le 10 janvier 2000, à 17:55, le Saab 340 de Crossair immatriculé HB-AKK est autorisé à décoller de la piste 28 de l’aéroport de Zurich. Il fait nuit déjà et, comme d’habitude, des nuages bas ferment tout le ciel. Il n’y a quasiment pas de vent et la température au sol est de 3 degrés. L’appareil s’envole et disparaît presque aussitôt dans les nuages. Deux minutes et dix-sept secondes plus tard, une violente explosion est entendue dans un champ au nord du village de Nassenwil et l’avion disparaît des scopes radar. Immédiatement, un hélicoptère de la REGA s’envole et ratisse la zone à faible altitude.

Rapidement, les restes fumants sont localisés dans un champ. Les secours sont dépêchés sur place, mais il n’y a plus rien à faire pour les 3 membres d’équipage et 7 passagers en partance pour Dresde. L’appareil est arrivé en affichant une vitesse et angle de piqué importants. Il n’y a quasiment rien à la surface du sol, tout a été enterré sous le choc et un incendie dévora les restes.

 

lieu du crash du Saab 340B de Crossair
Lieu du crash du Saab 340B de Crossair
 

 

Onze minutes après le décollage, s’ouvre une enquête difficile au sujet du premier accident d’avion de ligne du 21ème siècle. Il s’agit d’un travail de fourmis qui consiste à rassembler toutes les données disponibles et le bureau suisse des enquêtes a du pain sur la planche.

L’avion, qui volait sous les couleurs de Crossair et avec une immatriculation Suisse, était loué à une compagnie de Moldavie qui fournissait également l’équipage de conduite. Ce dernier était composé d’un commandant de bord moldave et d’un copilote slovaque. Le premier était payé par Crossair via sa compagnie mère qui prélevait près des deux tiers de son salaire. Même s’il travaillait en Suisse, ce pilote touchait un salaire effectif mensuel d’un peu moins de 900 Euros auquel venait s’ajouter une prime de 1.90 Euros par heure de service. Avec de tels revenus, dans l’une des régions les plus chères au monde, il n’est même pas possible de manger à sa faim. De plus, l’un comme l’autre, les pilotes survenaient aux besoins de leurs familles restées au pays. Le copilote ne croyait plus à l’Eldorado suisse et ne rêvait que de rentrer chez-lui en Moldavie. Il avait résilié son contrat avec Crossair et faisait son dernier mois de travail avant de revenir auprès de sa femme et de son enfant.

Comme c’est le commandant de bord qui pilotait lors du crash, son parcours est décortiqué par les enquêteurs. Il faut remonter aux années 70, en plein URSS, de l’autre coté du rideau de fer. Dans un pays où il faut un visa pour aller d’une ville à l’autre, le métier de pilote est considéré comme très sensible. Dès l’âge de 10 ans, les prétendants sont sélectionnés dans les écoles primaires. Leurs connaissances scolaires, mais surtout les notes politiques de leurs parents sont déterminantes.

Ce commandant passera 20 ans de sa carrière dans le système soviétique, mais sera refusé chez Aeroflot. Officiellement, il « ne passe pas les épreuves de sélection ». Même si l’URSS se prétendait une nation unie, il valait mieux venir de Moscou que de Moldavie pour réussir certaines sélections.

Corrompu comme il l’était, le système ne produisait pas que de bons pilotes, mais au moins, il avait ses garde-fous. La transition sur un avion occidental exigeait plus d’un an de formation et il était nécessaire d’accumuler au moins 500 heures de vol sur un avion avant de pouvoir être nommé commandant de bord dessus. De plus, si le pilote changeait d’avion, il reprenait le poste de copilote pendant au moins 500 heures de vol. Aucune exception n’était permise.

En 1997, soit quelques années après l’éclatement de l’Union Soviétique, ce pilote est engagé par Moldavian Airlines qui ne travaille plus sous une tutelle centralisée. La conversion sur Saab 340 est expédiée en 4 mois. A sa décharge, ce n’est pas le commandant de bord qui a établi le programme de transition. Il n’est pas sensibilisé aux différences culturelles ou techniques Est – Ouest et surtout, pour la première fois, il commence à piloter en se fiant à un horizon artificiel complètement différent. Après 32 heures de simulateur et 80 minutes de vol, il est lancé directement comme commandant de bord sur Saab 340 ; inimaginable du temps de l’URSS ! Selon les principes de l’OACI, les autorités helvétiques valident la licence et c’est ainsi qu’il se retrouve officiellement engagé chez Crossair en novembre 1999, soit 6 semaines avant le crash.

Le copilote a fait sa formation en Suède et disposait d’une licence de pilote Slovaque et, à l’instar du commandant de bord, il n’avait jamais suivi de cours CRM. Cette formation permet aux pilotes de passer du stade du travail individuel à l’intégration au sein d’un équipage.

Le jour du crash, les pilotes avaient commencé leur journée par un premier aller – retour Zurich Nuremberg. La veille, le commandant de bord prend des somnifères dès qu’il arrive à son hôtel. Dans son crewbag, on trouvera plus tard une tablette entamée de Phenazepam. Peu avant 17 heures, l’avion est autorisé à circuler pour la piste 28. Tout en roulant, les pilotes font les derniers réglages. Le décollage se fera sans volets. Leur sortie n’est pas nécessaire sur ce type d’avion.

 


Somnifère trouvé dans les restes de l’appareil.
Il appartenait au commandant de bord qui en avait pris la veille.
 

 

L’appareil se met à accélérer et s’arrache du sol en vingt secondes. Le train d’atterrissage est rétracté et le Saab entame sa montée à 136 nœuds et 15 degrés d’assiette. En quelques secondes, toujours sous pilotage manuel, il rentre dans les nuages. Après une première phase de montée initiale, un virage à gauche est commencé comme le veut la procédure de départ ZUE 1Y. Au même moment, l’équipage est autorisé à continuer de monter jusqu’au niveau de vol 110.

En plus de changer de fréquence, le copilote s’occupe à réaliser la check-list après décollage. Il enclenche le Yaw Damper et le conditionnement d’air puis se met à régler les manettes des gaz pour afficher la puissance de montée. Durant toute sa formation, on a reproché au copilote d’être lent. Il est très précis et méticuleux, mais en échange, il lui faut du temps pour réaliser une tache comme bouger des manettes de puissance jusqu’à ce que les aiguilles se mettent devant certains chiffres. Pendant ce temps, le commandant de bord sort du virage à gauche mais continue à braquer le manche vers la droite.

17:55:55, l’avion est à 8 degrés d’inclinaison à droite. Cinq secondes plus tard, il est à 31 degrés. Les instants suivants, quelques coups de manche contradictoires basculent l’avion à 42 degrés. Il maintiendra cette inclinaison pendant quelques secondes encore. L’altitude est maximale, soit 4’720 pieds. Les nuages se terminent vers 5’000 pieds, il faudrait encore quelques secondes de montée pour revenir en visuel, mais l’avion ne monte plus. Le nez passe lentement sous l’horizon et le variomètre devient négatif.

17:56:10, commence une phase d’actions désordonnées sur le manche mais à dominante droite. L’appareil se retrouve à 80 degrés d’inclinaison auxquels correspondent 25 degrés de piqué. La vitesse commence à augmenter vertigineusement. A cause de cela, le copilote a du mal à obtenir un régime stabilisé sur les moteurs. Il lève les yeux et voit le désastre. Alors qu’il a plusieurs fois le temps nécessaire pour prendre les commandes et rattraper la trajectoire, il se contente de dire :
– A gauche vers Zurich Est, nous devrions tourner à gauche !

La phrase est annoncée comme s’il s’agissait d’une erreur de navigation alors l’avion est hors contrôle. Le mot gauche fait tilt dans l’esprit du commandant de bord et il braque dans la bonne direction. L’inclinaison diminue à 65 degrés puis elle augmente encore à 137 degrés. A la tour de contrôle, sur son scope radar, le contrôleur aérien voit l’avion partir sur la droite alors qu’il lui avait dit d’aller à gauche. Il appelle les pilotes pour tirer la chose au clair :
– Crossair 498, confirmez que vous tournez à gauche !

Alors que l’appareil est dans une situation quasi-désespérée, le copilote prend le temps de répondre :
– Un moment s’il vous plait, attendez
– Ok, continuez à droite, répond le contrôleur qui décide de s’en accommoder.

A la fin de cet échange, l’alarme survitesse retentit. Le copilote se met à crier :
– A gauche ! A gauche ! A gauche !

Ce seront ses derniers mots. A 17:56:27, l’avion s’écrase dans le champ à une vitesse de 285 nœuds, soit près de 530 km/h. Le taux de chute est de 27’500 pieds par minute et l’assiette 63 degrés à piqué. Aux tous derniers moments, il y a une tentative de reprise qui amène l’avion à 76 degrés d’inclinaison, mais elle arrive trop tard pour éviter l’impact.

Le poids de la culture
Dans le système soviétique, le commandant de bord est un maitre incontesté. Il ordonne aux autres membres d’équipage, il les forme et participe à la gestion de leur carrière. Lui-même a comme caractéristiques le courage, la force et le calme. Aucun accent n’est mis sur la communication ou le travail d’équipe. On ne forme pas une équipe avec un commandant soviétique : il ordonne, on obéit.

Chez des compagnies comme Lufthansa, il suffit que le commandant de bord fasse un geste imprévu pour que le copilote lui prenne les commandes. Au contraire, dans un cockpit de mentalité soviétique, l’ambiance est aussi rigide qu’à l’intérieur d’un sous-marin lanceur d’engins. Même si l’avion part de travers, il faut avertir au moins deux fois avant de prendre les commandes. Si on le fait à mauvaise escient, c’est une violation grave qui peut mettre fin à la carrière. Si on ne le fait pas, la carrière peut se terminer encore plus vite. Ceci pousse les copilotes à analyser longuement la situation et à n’agir que lorsqu’elle leur semble désespérée.

Dans le cadre du crash du Crossair 498, le passage des 90 degrés d’inclinaison a eu un effet libérateur sur le copilote mais il était trop tard pour agir. De plus, celui-ci découvrait une image ADI qu’il n’avait jamais vue de sa vie. Il lui faut du temps pour l’interpréter et comprendre ce que fait l’appareil et dans quelle direction il faut corriger .

Le poids des différences techniques
Au printemps 2000, le bureau suisse des enquêtes répertoriait 18 vols piqués en spirale survenus en Russie. Dans 15 cas, ça se termina mal. Devinez quoi ? Dans ces 15 cas, tous les avions étaient équipés d’horizons artificiels de type occidental et pilotés par des équipages formés surtout au modèle russe.

Les résultats des études expérimentales sont effrayants. On soumet à un groupe de pilotes russes un ADI russe dans une certaine position. On les laisse le regarder pendant une seconde et on leur demande de dire l’attitude l’avion. Dans ce cas, 98% donnent une réponse juste.

Maintenant, le même groupe est soumis à un ADI de conception occidentale. Là, 68% des pilotes, près des deux tiers, donnent une réponse fausse. Pour cette raison, dans tous les Pays de l’Est, il faut faire au moins 500 heures sur avion pour devenir commandant de bord dessus. Cette précaution n’est pas toujours suffisante. On démontre en psychologie qu’en cas de stress important, c’est les anciens réflexes qui ressurgissent. Ceci conduit à une perte d’orientation et les pilotes font des essais désordonnés à droite et à gauche pour es-sayer de trouver la bonne direction. Ce geste ne fait qu’accroitre leur désorientation. Voici un extrait du rapport d’accident numéro 1781 publié par les autorités suisses :

Pendant la phase initiale du vol, le commandant pilotait l’avion de manière très calme et précise comme l’ont aussi montré les enregistrements d’autres pilotes lors des vols de comparaison. En revanche, dans la phase finale du vol, ses ordres de commande sont devenus de plus en plus désordonnés, imprécis et amples. Des caractéristiques de pilotage semblables ont été décrites par des instructeurs de vol russes comme étant typiques de pilotes qui ne sont plus en mesure d’interpréter convenablement l’assiette. Ceux-ci essayent alors d’arriver à une solution à leur problème par des tentatives irréfléchies. Lors de l’évaluation des pilotes, les débattements des gouvernes sont, pour les instructeurs, un signe avant-coureur de désorientation.En ex-URSS, ce type de comportement est connu et se manifeste surtout lors de la transition des pilotes russes sur des appareils dotés d’un horizon artificiel de conception occidentale (TU-154, IL-86, B-737, A-310, etc.). On peut donc estimer que les pilotes russes qui ont suivi une formation de transition ont vécu au moins des formes légères de désorientation en simulateur. La problématique étant connue, ce type d’expérience peut être exploité et contribuer ainsi à accroître la vigilance des pilotes face à ce phénomène. La compagnie Aeroflot a volontairement poussé cette réflexion plus loin et aborde aussi d’autres problèmes liés aux différences entre les cockpits de conception russe et occidentale dans ses cours de transition. Comme la formation de transition du commandant a eu lieu en Occident (Crossair, Bâle), dans un contexte où ce problème n’était pas connu, le commandant n’a pas eu l’occasion de prendre conscience de ce risque potentiel de désorientation.

 

La transition est d’autant plus difficile que les instruments rus-ses sont gradués en mètres pour l’altimètre, en mètres par seconde pour le variomètre et en kilomètres par heure pour l’indicateur de vitesse. Les formateurs suisses n’avaient pas conscience du poids de ces différences.

Les mauvais conseils du GPWS
En cas de perte de contrôle due à une désorientation spatiale ou autre, le GPWS renvoi des alertes aux pilotes. Un premier défaut, vient avec l’alarme d’inclinaison excessive. Elle annonce « bank angle ! » mais ne spécifie pas ce qu’il faut faire pour l’annuler. Un simple « turn right » ou « turn left » serait pourtant le bienvenu. Sur les avions russes, des lumières de couleur indiquent la direction à prendre pour corriger.

Quand l’avion est fortement incliné, voir sur le dos, la technique de récupération recommandée est la suivante :
– Fermer les gaz pour éviter que la vitesse n’augmente
– Annuler l’inclinaison pour ramener l’avion à l’horizontale et la force de portance vers le haut.
– Tirer sur le manche au maximum de G supportés par l’avion.
– Regarder l’horizon et veiller à ne pas partir en cabré excessif.

Pourtant, quand un avion s’approche du rapidement du sol, le GPWS annonce « Whoop ! Whoop ! Pull up ! » et ceci quelque soit l’attitude. Si un avion est fortement incliné ou sur le dos, tirer sur le manche est la dernière chose à faire. Sans annuler d’abord l’inclinaison, un tel geste ne ferait qu’accélérer la chute et la perte de contrôle.

GPWS et attitude inusuelle
Dans le cas du vol Crossair 498, le GPWS ne s’est pas déclenché et les pilotes n’ont reçu aucune alarme de proximité de sol. Le GPWS fonctionne sur la base d’un radio altimètre qui envoi des ondes en modulation de fréquence vers le sol. La précision est de l’ordre de 2 pieds sur l’intervalle de fonctionnement qui va de 0 à 2’500 pieds. L’ouverture du champ des antennes est de l’ordre de 50 degrés sur tous les avions. Sur le Saab 340, elle est de 45 degrés. Etant donné que l’inclinaison fut supérieure à cette valeur tout le temps que l’appareil évoluait en dessous de 2’500 pieds, aucune mesure d’altitude radio ne put être réalisée. Le GPWS ne sentit pas le sol venir.

 

Radio Altimètre Russe gradué en pieds
Radio altimètre russe moderne gradué en pieds. La portée
maximale est de 2’500 pieds à condition que l’avion
ne soit pas incliné de plus de 45 degrés.

1 COMMENT

  1. CRM = Crew Management, ADI = Horizon Artificiel
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    Merci pour cet intéressant article, qui complète bien ceux de Wikipedia et les vidéos comme celle de Mayday Danger dans le ciel.

    Pour mieux la comprendre j’ajoute quelques précisions :

    1. « il n’avait jamais suivi de cours CRM »
    Il s’agit de https://en.wikipedia.org/wiki/Crew_resource_management

    2. « celui-ci découvrait une image ADI »
    Il s’agit de l’horizon artificiel :
    https://en.wikipedia.org/wiki/Attitude_indicator
    “An attitude indicator (AI), also known as gyro horizon or artificial horizon or attitude director indicator (ADI, when it has a Flight Director)…”
    Voir http://www.google.com/search?q=Flight+Director

    Accessoirement il serait utile si le temps le permet de relire l’article et d’y corriger l’orthographe, la grammaire, et plus généralement la rédaction.

    Versailles, Fri 29 Apr 2016 16:20:40 +0200

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