Cet accident est typiquement cité en exemple à chaque fois qu’il s’agit de parler de facteurs humains. Il montre comment le détachement et le manque de connaissances des systèmes de l’avion peuvent empêcher d’identifier les problèmes et d’agir en conséquence. On voit également un copilote qui sent le drame venir, mais qui n’ose pas contrarier le commandant de bord.
Il fait une météo épouvantable sur la Cote Est des Etats-Unis ce mercredi 13 janvier 1982. La ville de Washington est plongée dans la pagaille et l’aéroport est fermé plusieurs fois de suite. La rivière Potomac est gelée et le courant charrie d’énormes blocs de glace.
Le vol Air Florida 90 est programmé pour 14:15 heure locale, mais comme tous les autres appareils, le 737-200 reste au parking. Seuls dans le cockpit, les pilotes observent les engins des services de l’aéroport qui s’activent pour déblayer la neige plus vite qu’elle ne tombe. Leur rentrée en Floride semble de plus en plus compromise.
Les passagers sont tout de même embarqués et l’équipage est prêt pour un départ immédiat dès l’ouverture des installations. Comme les précipitations semblent diminuer, le commandant de bord demande un dégivrage complet de l’appareil. Des techniciens du sol s’approchent avec un camion citerne et commencent arroser l’avion par des jets sous pression de fluide type II de l’Union Carbide. Il s’agit d’un mélange d’eau et de glycol qu’on chauffe autour de 70 degrés.
Une mauvaise nouvelle arrive : l’ouverture de l’aéroport est encore repoussée et 5 à 6 avions sont placés en liste d’attente avant le Florida 90. Le commandant de bord n’a plus de choix que d’annuler l’opération de dégivrage en cours.
Peu avant 15 heures, le dégivrage est repris jusqu’à ce que l’avion soit parfaitement propre. Néanmoins, dès que le jetway est écarté la neige recommence de plus belle et forme un manteau sur les ailes et la carlingue. L’équipage contacte la tour de contrôle et obtient l’autorisation de circuler pour la piste 36, orientée plein nord (aujourd’hui piste 01). Pour cela, il faut que l’appareil soit d’abord poussé en arrière, c’est le push-back. Les techniciens d’American Airlines placent une barre sur le train avant et la relient à leur puissant tracteur. Dès qu’ils commencent à pousser, les roues du tracteur se mettent à glisser sur la neige et à tourner dans le vide. Il faut installer des chaines.
Le commandant de bord suggère d’utiliser l’inversion des poussées des réacteurs. Les techniciens au sol le découragent, mais il le fait quand même et l’appareil tente de reculer par ses propres moyens. Les réacteurs, surtout ceux du 737-200, ne doivent pas être activés en inversion de poussée à faible vitesse et encore moins à l’arrêt. Lors de ce fonctionnement, de l’air chaud et repoussé vers l’avant et réabsorbé par le compresseur. Ce recyclage peut conduire à la surchauffe rapide du moteur.
A bout d’une minute ou deux, les pilotes laissent tomber leur manœuvre et arrêtent les réacteurs sans même prendre la peine de faire rentrer le dispositif d’inversion de poussée. A 15:30, arrive un nouveau tracteur équipé pour la neige et l’avion est repoussé. Les pilotes démarrent les réacteurs et referment les pelles des inverseurs puis se mettent à circuler vers la piste. Sur les ailes et la carlingue, de grandes quantités de neige sont accumulées. Pourtant, lors du déroulement de la check-list après démarrage, le commandant de bord répondOFF pour la position du système antigivrage.
Alors qu’ils se mettent en file d’attente pour le décollage, le copilote s’inquiète au sujet de la neige et en discute avec le commandant de bord. Ce dernier argumente que de toute façon, les dépôts seront chassés par l’air pendant l’accélération (fausse conception). Pas très convaincu, le copilote accepte tout de même cette explication.
Photo prise par le passager d’un autre avion 10 minutes avant le décollage.
Le Boeing d’Air Florida est sensé avoir été dégivré. Pourtant, de la neige est nettement
visible sur la carlingue. Il y en avait autant sur les ailes…
Photo de l’avion accidenté (N62AF). Permet de mieux apprécier
l’étendue de la neige sur l’image précédente.
Inquiet tout de même pour le givrage, le commandant de bord invente une nouvelle méthode pour s’en débarrasser. Il relâche les freins et laisse son avion s’approcher d’un DC-9 qui le précède. Il espère que l’air chaud expulsé par les réacteurs de ce dernier ira faire fondre la neige accumulée sur son 737. Le copilote a une remarque très pertinente :
– Mon gars, c’est une bataille perdue. Ce que tu fais là ne sert à rien d’autre qu’à te donner un faux sentiment de sécurité.
Le dernier avion est autorisé à décoller puis ce sera le tour de l’Air Florida 90. L’appareil s’aligne sur la 36 et c’est le copilote qui tient les commandes pour faire l’étape. Les manettes sont poussées jusqu’à ce que l’EPR de décollage est affiché, soit 2.04.
Alors que l’avion commence à accélérer, le copilote voit que les indications des moteurs ne sont pas normales. Le bout de dialogue suivant commence un peu avant le décollage et se termine au crash quelques centaines de mètres plus loin.
Copilote : La piste est mouillée tu veux que je face quelque chose ou juste un décollage normal ?
Commandant : A moins que tu aies envie de faire quelque chose de spécial…
Copilote : Je pense relever le nez assez tôt comme sur une piste en terre battue.
Le commandant de bord ne répond pas. L’avion est autorisé à entrer en piste puis à décoller :
Copilote : regarde, il y a quelque chose qui ne va pas !
Commandant : non ça va bien, on a 80 nœuds maintenant
Copilote : Non je ne crois pas que c’est correct !
Copilote : c’est peut être ok après tout
Commandent : 120 nœuds
Copilote : je ne sais pas
Commandant : V1, VR et V2
A cet instant, alors que les roues quittent à peine le sol, le bruit du stick shaker indique un décrochage imminent
Commandant : pousse sur le manche ! Pousse ! Ne tire pas autant ! On a besoin d’à peine 500 [pieds par minute]
Commandant : pousse encore, laisse-le à peine monter !
Copilote (criant) : Larry, on s’écrase, Larry !
Commandant : je le sais !
Ce fut leurs dernières paroles. Le Boeing survola le bout de piste et commença à replonger vers le Potomac. Traversant la rivière, un pont en métal est bondé de voitures prises dans un embouteillage. L’avion arrive directement dessus et avant même que les gens au sol ne puissent réagir, 6 voitures et 1 camion sont fauchés. L’avion continu sa chute et se fracasse contre la surface de l’eau. En quelques secondes, il s’enfonce jusqu’à la queue. Seule une partie de la dérive verticale reste émergée.
Photo par dessous : rambarde arrachée
par les véhicules emportés par le train d’atterrissage
Les pilotes et la majorité des passagers perdent la vie sous le choc. Quelques uns, assis à l’arrière, réussissent à sortir de l’avion pour se retrouver dans l’eau. Un hélicoptère Bell qui passait par hasard descend à un mètre au dessus de l’eau et son pilote jette une corde. Une personne s’y accroche et elle est tirée vers la berge. Plusieurs fois elle lâche la corde et plusieurs fois l’hélico revient au-dessus de sa tête. Un homme sort du Boeing, mais il revient aider d’autres. Il sort une personne puis revient en chercher une autre. Il sera vaincu par le froid et ne ressortira plus. Il comptera parmi les victimes sans que l’on ne puisse jamais déterminer qui c’était.
Cet hélico de type BELL 206-1L immatriculé N2PP et appartenant à l’US Park Police sauva de nombreuses personnes des eaux glaciales du Potomac. Les images prises par les caméras de télévision présentes sur place firent le tour du monde. Il était piloté par un certain Donald W. Usher qui volait en companie d’un infirmier (Melvin E. Windsor). Ce dernier passa une corde à laquelle une personne s’est arrochée puis elle fut tirée vers la berge. Plusieurs fois elle perdit la corde et plusieurs fois le pilote remis l’hélico au-dessus de sa tête dans une scène de sauvetage époustouflante.Le pilote pris des risques considérables. A un moment donné, les patins de l’hélico furent enfoncés sous l’eau pour permettre à une victime de s’y accrocher. |
Sur le pont dévasté, il y a 4 morts. La catastrophe fait au total 78 victimes. Seuls cinq passagers assis à l’arrière en réchappent après un séjour dans les eaux glacées.
Plusieurs centaines de témoignages sont recueillis par le NTSB. L’appareil avait à peine décollé et volait à très faible altitude. En arrivant sur le pont, il était cabré de 30 à 40 degrés et continuait à s’enfoncer. A l’impact avec les véhicules, de gros morceaux de glace se détachèrent de l’avion. Plusieurs mètres de rambarde du pont furent arrachés et l’avion tomba dans l’eau presque à plat puis commença à couler le nez en premier.
Chaos après le crash. Remarquez la neige.
Opération de secours et de récupération durant la nuit
Récupération de la partie arrière du Boeing 737
Les expériences réalisées après le crash ont aussi permis de comprendre l’effet néfaste des inverseurs de poussée utilisées pour reculer par temps de neige. L’air chaud repoussé vers l’avant fait fondre la neige accumulée sur l’aile et celle-ci regèle immédiatement sous forme de verglas bien plus dangereux et adhérent. Selon les observateurs au parking, la neige au sol était fondue sur plus de 5 mètres autour de chaque réacteur lors de la tentative de recul. L’effet des inverseurs de poussée sur le givre avait été communiqué par Boeing dès 1979 et était un élément considéré comme connu par tous les opérateurs à l’époque du crash.
Ensuite, le choix de ne pas activer le dégivrage des réacteurs fut désastreux. Parque les sondes de pression étaient bouchées par le givre, l’indication d’EPR dans le cockpit était fausse et largement surestimée par les instruments. En plus d’avoir les ailes contaminées par le givrage, l’appareil n’avait pas assez de puissance pour s’envoler. Pendant toute la séquence, les manettes n’ont pas été poussées plus loin, ni le train d’atterrissage rentré.
Par ailleurs, à 20 mètres, la température des gaz d’éjection d’un réacteur de DC-9 est de l’ordre de 24 degrés et diminue rapidement avec la distance. Un tel flux ne peut pas être utilisé pour dégivrer l’avion de manière sûre et efficace.
Le 737-200 fut modifié suite à ce drame. Le système de dégivrage (TAI) fut réglé de manière à ce qu’il puisse fonctionner même au sol. Avant, les pilotes avaient une technique officieuse qui consistait à maintenir le bouton de test appuyé.
Le comportement de l’équipage, le commandant de bord particulièrement, fut un exemple de ce qu’il faut à tout prix éviter. Le commandant a ignoré toutes les remarques de son copilote concernant le givrage ou les oscillations des paramètres moteur. Alors qu’il était au décollage, le copilote constate un problème et en parle plusieurs fois sans attirer l’attention du commandant. L’accélération dura 45 secondes alors qu’elle ne dure que 30 secondes habituellement. Ceci aurait du inciter le copilote à avorter le décollage.
Photos du Sauvetage
6 personnes sont dans l’eau après le crash
mais les secouristes sur les berges ne peuvent pas y accéder.
Les bateaux pneumatiques n’avancent pas sur la glace…
Le pilote pose un patin sur l’eau.
L’infirmier se met sur le patin et attrape une victime.
Le patin passe sous l’eau. Il faut tout l’habileté
d’un ancien du Vietnam pour tenir dans ces conditions
La victime est arrachée de l’eau glacée et tenue tant
bien que mal par l’infirmier.
La victime est donnée aux sauveteurs qui l’attrapent au vol
pour permettre à l’hélico de revenir tout de suite sur la zone.
A voir également
– Enregistrement CVR de l’Air Florida 90