Même si elles sont rares, moins de 1% des accidents, les pertes de séparation en vol sont toujours inquiétantes à cause de leur potentiel de destruction. Si deux avions en arrivent à se toucher en vol, les chances que l’un d’eux puisse atterrir sont minimes. Le risque implique les avions de ligne entre eux, mais surtout ces derniers avec le trafic de l’aviation générale. D’après des statistiques du 436ème bataillon aéroporté de l’armée US, 88% des collisions en vol arrivent de jour. Une majorité de ces accidents ont lieu dans de bonnes conditions de visibilité. Seuls 2% de ces accidents surviennent la nuit ! Les risques sont accrus en dessous des 1’000 pieds où l’on rencontre beaucoup de petits avions ainsi que des appareils de ligne à l’arrivée ou au départ. Il n’existe aucune relation entre l’expérience des pilotes et les chances de les voir impliqués dans un tel accident. Tous ont un risque égal de se retrouver dans une situation de perte de séparation en vol.
La FAA définit l’incident de type NMAC (Near Mid-Air Collision) comme étant un évènement au cours du quel deux avions en vol se retrouvent à moins de 500 pieds l’un de l’autre. Ou bien, toute autre situation, quelque soit la distance entre les deux appareils, où un pilote ou tout autre membre d’équipage a eu la perception qu’une collision était possible entre deux ou plusieurs avions. Ces évènements peuvent être rapportés sans risque de poursuites par le système ASRS de la NASA et donnent toujours lieu à une enquête sans sanction à la clé . On part du principe que tout NMAC est une collision avortée et que son étude revêt la plus grande importance dans l’intérêt de la sécurité publique.
Sans sanction s’ils sont portés à la connaissance de la NASA par le ASRS (Aviation Safety Reporting System). Au-trement, si l’affaire est prise en charge par la FAA, il y a un risque de sanctions si des violations sont découvertes. Par ailleurs, la FAA n’a pas le droit d’obtenir des informations de la NASA ou même tenter d’en obtenir. Beaucoup de NMAC ne sont jamais reportés par peur de sanctions légales ou professionnelles.
Voir et éviter
C’est ce qu’apprennent tous les pilotes. Il faut voler en scrutant dans toutes les directions à la recherche d’un éventuel avion. Certains instructeurs n’aiment pas le terme « voir » en ceci qu’il est passif. Ils lui préfèrent « chercher et détecter ». Quelques soient les termes utilisés, il n’en demeure pas moins que deux avions de ligne qui s’approchent de face à leur altitude de croisière voient la distance les séparant diminuer de plus de 30 km par minute. Si la visibilité est de l’ordre de 10 km, les avions ont 20 secondes entre le moment où ils sont théoriquement à vue l’un de l’autre et l’impact. De plus, ceci exige d’utiliser un sens humain loin d’être parfait : la vue.
En effet, même si le regard humain est capable d’embrasser une zone de l’ordre de 200 degrés d’ouverture, seule une patie de cet arc, 10 à 15 degrés, est capable d’envoyer au cerveau une image claire et complète. Physiologiquement, ceci correspond à la fovéa. La vision périphérique a une plus faible définition mais permet facilement de capter les mouvements. Par contre, une fois qu’un avion est identifié, il n’est pas évident de savoir ce qu’il fait avant qu’il ne soit suffisamment, voir dangereusement, proche. Par exemple, un avion qui arrive de face semble fixe et n’augmente pas de taille apparente pendant un long moment. Puis, soudain, en une fraction de seconde, il emplit toute la visière et c’est l’impact. En Anglais, on appelle cela le « blossom effect ».
Lors d’une convergence de trajectoire, tous les pilotes savent que s’ils voient l’autre avion à gisement constant, c’est qu’il va leur rentrer dedans. Mais faut-il le voir ! Le pilote d’un Cessna 172, avion à ailes hautes, a une vision très limitée vers le haut. Par ailleurs, l’équipage d’un avion de ligne en approche, a une mauvaise visibilité vers le bas à cause de l’angle de cabré nécessaire aux faibles vitesses.
Le même principe s’applique à la conduite automobile : si en arrivant sur un carrefour vous continuez à voir un autre véhicule toujours à angle constant, c’est que vous allez arriver au même moment que lui à l’intersection. L’impact est garanti si personne ne modifie sa vitesse. Ceci ce démontre en géométrie par le théorème des triangles semblables.
D’après l’ALPA, on a beau regarder devant soi, le danger vient par derrière ! Dans plus de 82% des collisions en vol, c’est un avion rapide qui rattrape et percute un avion plus lent que lui. Les collisions face à face ne sont constatées que dans 5% des cas. Le reste, soit 13% des collisions, se font selon un schéma de trajectoires convergentes.
Le RADAR
Développé durant la seconde guerre mondiale, ce n’est que dans l’après guerre que le RADAR commence à être utilisé pour le trafic aérien. Il permet une meilleure précision dans la séparation en vol mais aussi la détection précoce des conflits et des écarts de la part des pilotes. La couverture radar permet aussi de réduire les manœuvres d’approche et favorisant des arrivées directes. On voit immédiatement l’intérêt sachant que la majorité des pertes de séparation arrivent justement durant les évolutions dans le circuit d’aérodrome.
L’aspect négatif est que de nombreux pilotes baissent leur vigilance dès qu’ils entendent la phrase magique à la radio : « radar contact ». Pourtant, même là où elle existe, la couverture radar n’est pas toujours parfaite. Il existe souvent des zones de bruits ou des secteurs et des altitudes non couverts. Le fait de pouvoir capter le service radar à la radio, ne signifie pas toujours que leur appareil a une image parfaite de la situation de l’avion.
Hors Europe et Amérique du Nord, le contrôle radar reste assez exceptionnel. Même le dernier avion de ligne de chez Airbus ou Boeing, se fera contrôler en Afrique selon des méthodes ancestrales. Le contrôleur dispose de bandes en papiers représentant les avions au départ et à l’arrivée. Chaque appareil doit donner des estimées pour certains points et s’annoncer régulièrement quand il passe au-dessus des balises de radionavigation. Avec ces informations, le personnel au sol assure la séparation sous réserve que tous les intervenants respectent scrupuleusement les instructions et les consignes de navigation. Un écart n’a aucune chance d’être détecté et il n’est pas rare que les contrôleurs perdent le contact radio avec un appareil hors de porté. Heureusement, on déplore peu ou pas de collisions dans ces régions à cause même de la faiblesse du trafic aérien.
Le TCAS (Nom officiel OACI : ACAS)
Après un certain nombre de collisions dramatiques, s’imposa la nécessité de créer un système de dernier recours qui fonctionnerait de manière autonome et indépendante des contrôleurs aériens. C’est ainsi qu’est né le Trafic Collision Avoidance System connu sous l’acronyme TCAS. Le système était une idée datant de 1956 mais techniquement pas réalisable à cette époque. Il fut rendu obligatoire sur les avions de ligne dès 1993 aux USA. A l’époque, il s’agissait du TCAS I qui n’a jamais été implémenté en Europe. Le système ne donnait pas de solution d’évitement mais se contentait de signaler un risque de collision imminent. Les pilotes devaient contacter le contrôleur aérien ou chercher visuellement le trafic en conflit. En Europe, ce n’est qu’en 2000 que le TCAS II fut rendu obligatoire. A cette date, la majorité des avions en étaient déjà équipés.
L’appareil fonctionne en association avec le transpondeur. Les avions se trouvant dans le périmètre actif (Environ 40 miles en avant, jusqu’à 15 miles en arrière, 20 miles latéralement et plus ou moins 9’000 pieds d’altitude.) reçoivent des interrogations au sujet de leur altitude et vitesse. Avec ces données, l’appareil interrogateur fonde une image en trois dimensions de la situation dans l’espace et anticipe son évolution dans le temps. Si un risque de conflit se présente, les TCAS des deux avions impliqués négocient une solution d’évitement qui est communiquée aux pilotes. Par exemple, si deux Airbus s’approchent face à face, le TCAS du premier demandera à l’équipage de monter et le second demandera à son équipage de descendre. La concertation est importante pour éviter justement d’amener les avions vers des trajectoires convergentes. L’alarme se fait sous forme vocale et l’étendue de la correction s’affiche sur le variomètre ce qui permet aux pilotes de réagir sans stresser leur avion et leurs passagers plus que ce qui serait nécessaire pour échapper à la collision.
Aujourd’hui, le système en place est le TCAS II. Il a trois défauts importants. Le premier est la saturation rapide des canaux d’interrogation et de réception réduisant le nombre d’avions pouvant participer au système dans un volume donné. Autour des aéroports les plus congestionnés, le TCAS II peut être incapable de tenir compte de tous les appareils à proximité. De plus, le TCAS II ne sait résoudre les conflits que dans le plan vertical. C’est-à-dire qu’il ne sait proposer des manœuvres d’évitement qu’en demandant aux avions de monter ou de descendre. Il ne sait pas les faire virer à droite ou à gauche. Ceci est du à un manque de précision dans la réception angulaire qui ne permet pas d’avoir des solutions fiables sur le plan horizontal. Cet handicap prend toute sa signification au-dessus des zones montagneuses où il serait délicat de demander à un pilote de piquer vers le bas pour éviter un trafic potentiel. En plus de cela, les solutions élaborées ne sont pas évolutives. C’est-à-dire qu’elles ne tiennent pas compte des évolutions réelles survenant après leur négociation. Par exemple, si un TCAS demande à l’équipage de descendre et que celui-ci se mette à monter comme l’avion en face, il n’y pas de nouvelle solution qui serait élaborée. Au mieux, l’appareil continuera à répéter ces premières instructions, mais n’établira plus une autre solution. Pour cette raison, les pilotes doivent complètement adhérer aux alarmes RA du TCAS pour éviter d’en perdre tout le bénéfice.
Pour corriger ce dernier problème, Eurocontrol proposa un nouveau modèle mathématique comportant une amélioration connue sous le nom de Change Proposal CP112E. Celle-ci permet de redéfinir une nouvelle solution si un des appareils ne respecte pas les ordres d’évitement. Dans ce cas, le TCAS demande à l’autre appareil de changer son attitude et de remonter s’il était entrain de descendre, ou l’inverse.
Le TCAS IV qui est en projet permettra d’obtenir de meilleures solutions, y compris dans le plan horizontal, mais il ne sera pas en service avant quelques années.
Le TCAS III qui était une amélioration du II a été abandonné peu de temps après le lancement des recherches au profit d’une solution encore plus puissante qui fut donc appellée TCAS IV.
Un des gros problèmes dans l’usage du TCAS, est la gestion de la priorité des messages des sources différentes. En effet, si un conflit de trafic existe, il est détecté par le TCAS, mais aussi par le contrôleur aérien. Celui-ci peut intervenir pour donner aux avions impliqués des trajectoires d’évitement. Si un équipage suit le TCAS et l’autre le contrôleur aérien, on perd le profit de la solution négociée et les avions peuvent aller à l’impact alors qu’ils croient s’éviter.
Ce problème était connu dès la conception du TCAS. Pour cette raison, les pilotes furent instruits pour donner une priorité absolue au TCAS. Seules les alarmes GPWS devaient encore être considérées comme plus importantes. En cas de conflit avec alerte TCAS, les instructions du contrôle aérien devaient être ignorées jusqu’à l’annonce de la fin du conflit. Maintenant, les choses peuvent arriver très vite et pas dans un ordre parfait. Un contrôleur peut détecter un conflit, donner des instructions d’évitement qui commencent à être appliquées quand le TCAS réagit à son tour avec d’autres ordres. Qui suivre dans ce cas ? Vous avez une demi-seconde pour répondre juste.
Les risques
D’après une étude réalisée par l’US Air Force entre le 1 novembre 2004 et le 31 mai 2005, plus de 1’500 résolutions de conflits (RA) ont été émises par des TCAS rien que dans l’ARTCC de Boston ! En moyenne, 9 conflits étaient résolus quotidiennement par cet équipement. Le maximum relevé fut de 28 conflits en une seule journée.
En cas de réaction appropriée de la part des pilotes, le risque de collision en minimal. Par contre, dans de nombreux cas, il y a des équipages qui réagissent tardivement ou à l’inverse trop brutalement. A cela, on peut aussi ajouter les avions qui n’ont pas de TCAS mais seulement un transpondeur et qui peuvent suivre une trajectoire imprévue. On estime qu’en Europe le risque statistique de collision est d’un cas tous les 4 ans.
Lien NASA ASRS
– NASA ASRS