Home Facteurs Humains Pan Am vol 845 – Coup de Poker à San Francisco

Pan Am vol 845 – Coup de Poker à San Francisco

6826
0

Même si cet événement est survenu il y a plus de 40 ans, il n’a rien d’historique parce que jusqu’à nos jours, des accidents similaires font régulièrement l’actualité.

En été 1971, le Boeing 747-100 était encore une curiosité. Entré nouvellement en exploitation chez Pan Am depuis le début de l’année précédente, c’était un avion qui avait encore à faire ses preuves. Rien de surprenant que le premier accident grave le concernant reste gravé dans les mémoires. D’une part, cet accident est venu valider les choix techniques des ingénieurs de Boeing. L’avion a continué à voler alors qu’il avait été râpé comme un concombre. D’autre part, cet événement a montré les limites et la fragilité de la communication humaine. Une simple modification opérationnelle, le changement d’une piste, sur laquelle se sont greffées des failles de communication a failli causer la fin de cet avion et de ses occupants.

Le vol Pan Am 845 était un long courrier passagers/fret un peu particulier. Il décollait de Los Angeles pour faire escale à San Francisco seulement 40 minutes plus tard. Puis, de là il repartait pour une longue traversée du Pacifique Nord qui le menait jusqu’à Tokyo à plus de dix heures de vol.

Le 30 juillet 1971, le vol 845 avait atterrit à SFO peu avant 14 heures. L’escale ne durait pas longtemps et pendant que les passagers embarquaient, les pilots préparaient déjà le décollage. Sur un carton placé sur la console centrale, ils avaient noté les paramètres essentiels :

Piste : 28L
Volets : 10
V1 : 156
VR : 164
V2 : 171

Lors de ce calcul, le vent venait du 300 avec une force de 15 nœuds. C’était à dire qu’il était, à peu de chose près, dans l’axe de piste. La température à ce moment était de 19 degrés.

A 15:00 heures, l’avion est au push-back quand l’équipage a une surprise en écoutant le dernier message ATIS. La piste 28L était fermée. De plus, l’autre piste disponible est amputée de 300 mètres.

Les pilotes consultent le contrôleur qui confirme la fermeture et leur propose la piste 01R comme préférentielle pour le décollage. A partir de là, s’en suivent de longs palabres impliquant l’équipage, la tour de contrôle et le service des opérations de Pan Am. Lorsque les agents des opérations aidaient à la préparation du vol, ils avaient écouté l’ATIS. La fermeture de la piste 28L avait été annoncée dès 08:36 du matin et dans les 4 ATIS suivants. Puis, par erreur, elle avait été omise dans l’ATIS Whiskey émis à partir de midi et demi. C’est seulement à 14:02 que l’ATIS XRAY en parle encore. A ce moment, le push back avait déjà commencé et la piste 28L envisagée et planifiée.

Il est donc décidé que l’avion décolle depuis le seuil déplacé de la piste 01R. Cet endroit laisse 2900 mètres de piste. Cette longueur serait plus que suffisante pour la majorité des avions, mais reste hors de la zone de confort d’un 747 presque à pleine charge. Durant le roulage, les pilotes décident d’utiliser plus de volets : 20 degrés au lieu de 10. L’idée est bonne, mais elle s’accompagne d’une terrible omission : les vitesses de référence au décollage ne sont ni recalculées, ni modifiées. Le carton sur la console ainsi que les index en plastique sur les badins indiquent toujours 156 nœuds pour V1, 164 pour la vitesse de rotation et 171 nœuds pour V2.

Tout l’intérêt de mettre plus de volets est de pouvoir s’arracher du sol à une vitesse inferieure. L’avion aura donc besoin de moins de piste. Par contre, il n’y a aucun sens à sortir les volets à 20 et vouloir utiliser des vitesses correspondantes à 10 degrés de volets. Cette erreur est d’autant plus incompréhensible qu’il y avait cinq membres d’équipage dans le cockpit : le commandant de bord, 2 copilotes, 2 mécaniciens navigants. Chacun d’entre eux était en mesure de constater le problème et de le porter à la connaissance des autres.

Un autre malentendu est venu se greffer encore sur cette situation. En fait, la piste 01R fait 2900 mètres de long excepté pour le Boeing 747. Pour éviter que le souffle de ses réacteurs n’aille mettre en danger les usagers de la route passant juste l’extérieur du périmètre de l’aéroport, le 747 devait entrer à un seuil différent que les autres avions.

Quand l’agent des opérations a contacté la tour au sujet de la fermeture des 300 premiers mètres pour travaux, le contrôleur lui a assuré que ceci ne changera rien pour son avion puisque cet endroit en travaux n’est jamais disponible au Boeing 747 qui rentre toujours en aval. A ce moment, l’agent des opérations supposa que les 2900 mètres indiqués sur ses documents correspondent à la longueur effective disponible pour le 747. Il n’avait plus de raison de retrancher les 300 mètres en travaux puisque de toute façon ils ne sont jamais disponibles. Il pensa que les restrictions habituelles avaient été prises en compte lors de la compilation des documents compagnie pour les divers avions exploités. A cause de cette supposition, tout à fait raisonnable du reste, l’avion avait en réalité 2540 mètres de piste.

Lors de leur conversation téléphonique, le contrôleur aérien supposa que l’agent des opérations de Pan Am était au courant des restrictions imposées au 747 sur ce terrain. De son coté, l’agent de la compagnie supposa que le contrôleur lui aurait communiqué la longueur disponible si celle-ci avait été effectivement différente des 2900 mètres indiqués sur les cartes.

A 15:30, le Boeing 747 s’aligne sur la piste 01R et la course au décollage commence. A ce moment, il faisait toujours 19 degrés, mais le vent était légèrement arrière.

C’est le commandant de bord qui a le rôle de PF alors le copilote l’assiste. Ce dernier a les yeux rivés sur l’index de vitesse du badin. De temps en temps, il jette des regardées nerveuses à l’extérieur. La tension monte au fur et à mesure que la fin de la piste s’approche. A l’œil nu, il voit que l’avion n’atteindra jamais sa vitesse de rotation avant de se retrouver dans le décor. Il n’y tient plus ! A 160 nœuds, il annonce VR et le commandant tire sur le manche.

En fait, si les pilotes avaient fait le calcul pour les volets à 20 degrés, ils auraient eu ce set vitesses : V1 149 nœuds, VR 157 nœuds et V2 à 162 nœuds. Alors que le copilote s’inquiétait en attendant les 164 nœuds, l’avion était en réalité déjà au-dessus de sa vitesse de rotation et consommait inutilement de la piste.

Le 747 commença à se cabrer. Le nez se souleva et l’empennage s’approcha au raz du sol. C’est à cet instant que la piste se termina dans l’eau.

L’obstacle le plus intéressant se situait cent mètres plus loin. La piste était équipée de feux d’approche sur la direction réciproque. Ceux-ci étaient montés sur une structure en métal sortant de l’eau et s’élevant jusqu’à 4.9 mètres. Cette structure était composée de piliers verticaux s’enfonçant dans l’océan et reliés entre eux par une plateforme horizontale permettant à un technicien de marcher d’un feu à l’autre. L’ensemble ressemblait à un long quai se trouvant dans le prolongement de la piste et coupé transversalement par des quais plus petits supportant les feux d’approche.

 

Boeing 747-100 Pan Am N747PA
Les feux d’approche sur l’eau sont montes sur une structure tres solide.
 

 

Le premier pilier déchire l’avion, traverse le compartiment cargo et surgit dans la cabine passagers sous le siège 54F. En une fraction de seconde, il coupe les toilettes en deux et disparait. Une seconde barre arrive à son tour dans la cabine et éclate les sièges 45F, 46F, 47F et 48F. Heureusement, toute cette rangée n’était pas occupée. Une autre barre en acier pénètre l’espace vital sous le siège 46G et blesse gravement deux passagers. Le premier, assis en place 47G, a la jambe arrachée au niveau du genou gauche. Le second, au 48G, perd son bras. En même temps, le sol de la cabine est soulevé de plus de trente centimètres par endroits et des milliers d’éclats de métal déchiré volent dans tous les sens.

L’avion a deux trains d’atterrissage détruits. L’un est arraché et l’autre tordu et repoussé dans la soute à bagages. Les volets internes des deux cotés sont tordus. Les gouvernes de profondeur du coté droit sont presque arrachées ainsi que la porte de l’APU. Le plan horizontal réglable (PHR) est endommagé du coté droit et gauche mais reste en place. Les circuits hydrauliques 1, 3 et 4 sont éventrés et perdent leur huile en quelques secondes.

 

Boeing 747-100 Pan Am N747PA
Il ne restait que la partie interne de la gouverne de profondeur droite comme tout controle sur cet axe.
 

 

Le crash dans la baie semble une évidence surtout que d’autres barres de métal sont prêtes à attaquer l’avion encore. Miraculeusement, le Boeing passe à quelques centimètres au-dessus de la prochaine structure et commence à monter lentement. Dans le cockpit, presque tous les voyants rouges sont allumés. Le mécanicien naviguant annonce qu’il ne reste qu’un seul circuit sur les quatre que compte l’avion puis il se penche sur ses check-lists d’urgence et commence un état des lieux plus poussé. Le circuit numéro 2 alimente : la partie basse de la gouverne de direction, la partie interne de la gouverne de profondeur droite, l’aileron externe sur l’aile gauche, l’aileron interne sur l’aile droite, les spoilers 2 et 3 (aile gauche) et les spoilers 10 et 11 (aile droite).

A faible vitesse, le Boeing 747 n’est déjà pas très réactif en temps normal. Avec la majorité de ses surfaces de vol paralysées, le commandant de bord arrive à peine à le contrôler. Il devenait urgent de prendre de la vitesse. A 1500 pieds, il abaisse le nez et s’oriente vers l’Océan ; on ne sait jamais.

Les volets et les slats sont rentrés grâce à un circuit de secours. La nouvelle configuration permet à l’avion d’accélérer et de monter à 3000 pieds. Pour le train d’atterrissage ou de ce qui en restait, il n’était ni recommandé, ni possible de le manœuvrer.

Un avion des Coast Guard décolla pour intercepter le Boeing et estimer visuellement les dégâts. Le 747 a quatre trains d’atterrissage principaux. Les deux plus en avant sont sous les ailes. Les deux plus en arrière sont sous la carlingue. Les pilotes apprennent qu’ils ne doivent plus compter sur ces deux derniers. Il devient donc essentiel de vider le maximum de carburant et d’atterrir le plus proprement possible.

 

Boeing 747-100 Pan Am N747PA train d'atterrissage
Il y a 8 roues sous le body et 8 roues sous les ailes du 747
 

 

 

Boeing 747-100 Pan Am N747PA train d'atterrissage
Deux trains sont sous le body et a l’arriere.
Deux trains sont sous les ailes et plus en avant.
 

 

 

Boeing 747-100 Pan Am N747PA train d'atterrissage
Ici le decallage se voit encore mieux.
 

 

Pendant 45 minutes, l’avion fait des cercles au-dessus du Pacifique pendant que ses pompes crachaient des cataractes de Jet1A. Apres avoir été allégé de plus de 80 tonnes de carburant, le Boeing fut guidé vers la piste 28L. Celle-là même qui avait été fermée dans la matinée. Comme c’est la plus longue, elle fut libérée en toute hâte pour donner le maximum de chances à l’atterrissage d’urgence.

Les pilotes connaissaient sur le bout des doigts les systèmes de leur avion, mais n’avaient jamais été entrainés à voler avec un seul circuit en marche. L’appareil avait un comportement qui leur était inconnu et auquel ils devaient se faire séance tenante.

Dans la cabine, deux médecins et une hôtesse –ancienne-infirmière avaient porté les premiers secours aux blessés et les passagers furent déplacés vers l’avant, loin de la zone sinistrée. Les PNC donnaient les consignes pour l’atterrissage d’urgence ainsi que l’évacuation, si toutefois, évacuation il y a. Dans le doute, ils donnèrent aussi les gilets de sauvetage. A la vitesse à laquelle allaient les choses, un amerrissage n’aurait surpris personne.

Sous guidage radar, l’approche commençait. La manette des volets fut placée sur le cran correspondant à 30 degrés. Comme il n’y avait plus de force hydraulique, ce sont des petits moteurs électriques qui, lentement mais surement, commencèrent à faire tourner les vis sans fin qui ramenèrent les volets aux positions demandées. Un système pneumatique déploya les slats sur le bord d’attaque de l’aile.

Les pilotes calculèrent qu’au poids actuel du Boeing, ils devaient passer le seuil de piste à 133 nœuds. Ceci est la vitesse à adopter en temps normal. Aucune compensation ne fut ajoutée pour tenir compte du manque de nombreuses gouvernes.

Après 1 heures et 42 minutes de vol, l’avion se présenta à l’atterrissage. Lors du passage des 200 pieds, le commandant de bord commença à perdre le contrôle sur l’axe de profondeur. La vitesse de 133 nœuds ne donnait pas assez de souffle sur les surfaces de vol. En particulier, sur les 4 gouvernes de profondeur, une seule fonctionnait.

Au fur et à mesure que l’avion ralentissait, le taux de chute augmentait. Le commandant tira sur le manche pour amortir la descente et réaliser l’arrondi, mais le 747 ne répondait presque plus. Il arriva très lourdement sur la piste puis rebondit de quelque mètres et retomba encore une fois.

Les inverseurs de poussée ne répondaient pas. Les pilotes activèrent le circuit de freinage d’urgence en espérant que le peu de roues restantes pourront dissiper la formidable énergie de l’appareil. Peu à peu, la vitesse commença à tomber mais l’avion virait inexorablement vers la droite. Il finit par quitter la piste et s’immobiliser dans un gros nuage de poussière et de fumée.

Le copilote ordonna l’évacuation. Par contre, au lieu de passer le message sur le système d’adresse aux passagers, il le passa à la radio sur la fréquence de la tour de contrôle. C’est seulement quand le mécanicien naviguant quitta le cockpit et cria aux passagers de sortir au plus vite que l’évacuation commença réellement.

Certains toboggans se déployèrent alors que d’autres furent tordus par le vent ou tombèrent au sol une fois déployés mais les passagers n’étaient pas au bout de leur surprise.

Le centre de gravité du 747 se trouve entre les deux trains d’atterrissages situés sous les ailes et ceux situés sous la carlingue. Cette disposition permet un partage efficace des charges lors de l’atterrissage. Par contre, comme les deux trains de carlingue furent arrachés, la verticale passant par le centre de gravité passait à l’extérieur de la surface de support. Résultat : le 747 commença à se cabrer. Les toboggans des portes avant se retrouvèrent accrochés verticalement et leurs extrémités ne touchaient même plus le sol. Dans la bousculade, de nombreux passagers sautèrent quand même et 8 furent gravement blessés.

 

Boeing 747-100 Pan Am N747PA train d'atterrissage
Pour une bonne repartition des charges, le centre de gravite du 747 se trouve entre les trains des ailes et ceux du body.
S’il n’y a plus les trains du body, il bascule en arriere.
 

 

Le voyage à Tokyo se termina avec 29 blessés dont 10 graves et un 747 à la limite de la ferraille. Seule consolation, il n’eut aucun mort.

Pan Am n’en n’avait pas encore fini avec les accrocs de communication et les changements opérationnels. Six ans plus tard, en 1977, on retrouve un Boeing 747 de Pan Am et un autre de KLM à l’aéroport de Tenerife (Los Rodéos). Le brouillard, des malentendus et des changements de dernière minute font que les deux 747 se rentrent dedans à plein fouet. Il y a eu 583 morts dont 380 rien que dans le Pan Am.

 

Boeing 747-100 Pan Am N747PA
Divers degats sur le N747PA
 

 

 

Boeing 747-100 Pan Am N747PA
PHR et gouvernes de profondeur droites
 

 

 

Boeing 747-100 Pan Am N747PA
PHR et gouvernes de profondeur droites

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here