A mon dernier atterrissage, le contrôleur dans sa tour a failli appuyer sur le bouton d’urgence pour ameuter les pompiers. L’avion rebondissait sans cesse. Il remontait de quelques mètres puis retombait lourdement, puis repartait encore alors que le bout de piste s’approchait. Au dernier rebond, le comandant de bord avait envoyé la gomme pour une honteuse remise des gaz. Il avait cependant décidé de me laisser les commandes. Je tremblais et mes mains suaient en se crispant sur les commandes et les manettes des gaz.
Quand je m’étais représenté au-dessus de la piste, la peur d’une seconde débâcle m’avait fait commencer l’arrondi très tôt, trop tôt. Même le commandant n’avait pas eu le temps d’éviter le désastre. L’avion cessa de voler immédiatement et tomba verticalement comme un ascenseur. Je parvins juste à maintenir les ailes horizontales par un violent coup d’ailerons. Il n’y avait plus d’énergie pour un rebond. L’avion toucha net sur trois points.
Quand nous sommes arrivés au parking, le bruit de l’atterrissage résonnait encore dans mes oreilles. C’était le même bruit que ferait un grave accident dans une cuisine d’hôtel. Le commandant se massait le dos en me regardant : « ce n’était pas un atterrissage, mais une arrivée ! ». Sur le moment, je songeais à quitter la profession.
Je suis décidé faire mieux cette fois.
Je pousse légèrement le manche et nous passons à travers une fine couche de nuages. L’aéroport est droit devant. Mes sens sont à l’affut. Un pilote doit intégrer une multitude d’observations avant d’atterrir sur un terrain inconnu. Il ne faut attendre aucune aide depuis le sol.
Alors que nous sommes à cinq kilomètres de distance, je compare instinctivement le déplacement de l’ombre des nuages sur un champ à la direction d’un manche à air planté sur le toit d’une grange. Il y a une différence importante. Je dois tenir compte de ce changement de direction du vent lors de notre descente et virage en finale. A la manière dont les sommets des arbres bougent, j’estime que le vent atteint bien les 45 kilomètres par heure en rafales.
Je dois faire très attention à ces arbres. Ils sont plantés tout près de l’aéroport et portent leur ombre sur la piste. Cette zone d’air plus froid comporte souvent des courants descendants. Ils ne sont pas dangereux en soi, mais ils peuvent surprendre si on ne se donne pas assez de marge.
Nous passons à exactement 90 MPH au-dessus des arbres et je commence à réduire les gaz. Ross ne peut qu’apprécier la planification impeccable de cette approche. Je laisse l’appareil glisser vers la piste en une pente parfaite. Je ne vais ni trop lentement, ni trop rapidement. Je me laisse juste un peu de marge pour contrer les rafales. Je donne un petit coup sur le compensateur de profondeur pour alléger un peu le manche alors que nous passons au-dessus du seuil de piste. Ca devrait être l’atterrissage parfait.
Mon autosatisfaction meurt avant même d’être née. Encore une fois, j’ai littéralement volé jusqu’à planter l’avion au sol. Il rebondit brutalement et s’incline sur le coté. Ross saute immédiatement sur les commandes. En quelques gestes précis et sans toucher aux gaz, il le stabilise et le repose comme une fleur.
Alors que nous roulons vers l’aérogare, je m’attendais à ce qu’il m’explose dessus. A ma grande surprise, il est souriant et me regarde avec bienveillance. Tu sais, me dit-il, il y a deux types d’avions : ceux que tu pilotes et ceux qui te pilotent. Avec le DC-2, tu dois bien avoir une idée claire dès le départ sur qui est le boss.
Je reprends mes esprits pendant les quinze minutes nécessaires à l’avitaillement, mise en place des bagages et embarquement / débarquement des passagers. Ross est aux commandes. Nous roulons déjà pour un nouveau départ alors que le vent se rafraichit de plus en plus. Mentalement, je combine toutes les lois des statistiques et j’arrive à la conclusion que je ne pourrais pas faire plus de bêtises aujourd’hui.
Le train d’atterrissage du DC-2 et manœuvré par des vérins hydrauliques. Au poste de pilotage, nous avons un levier qui permet de contrôler le mécanisme. Une fois que nous posons, nous insérons une goupille de sécurité pour éviter de bouger le levier par inadvertance et de se retrouver dans un avion couché sur le ventre. Nous retirons la goupille quand l’avion s’aligne sur la piste pour le décollage. Si nous l’oublions, il y a un délai embarrassant pour la retirer une fois en l’air. Même s’il ne s’agit que de quelques secondes, elles peuvent être vitales en cas de panne d’un moteur. Si le train n’est pas rentré vite, l’avion ne pourra pas monter.
Pour cette raison, dès que l’avion quitte le sol, nous rentrons le train d’atterrissage sans perdre de temps. Il ne faut pas non plus le rentrer trop tôt, autrement, l’avion qui n’a pas encore assez de portance s’enfoncera et les hélices touchent le sol en premier. C’est déjà arrivé.
Le signal pour rentrer le train est donné par le commandant de bord qui lève le pouce vers le haut en criant « Gear up ! » assez fort pour être entendu même au-dessus du bruit infernal des moteurs.
L’appareil s’aligne. Je retire la goupille alors que Ross met plein gaz. Je suis penché en avant, la main sur le levier du train d’atterrissage. Je suis pris d’envie aussi forte que pathétique de faire correctement et efficacement mon travail de copilote. Je sens l’arrière de l’avion se lever. Nous devons avoir la bonne vitesse. Je ne regarde pas les instruments, mais la main de Ross en attendant le signal convenu.
Tout à coup, sa main quitte les manettes. Il a du crier « Gear up ! » mais j’ai du ne pas l’entendre. Je serre le levier et je le pousse vers le haut.
– Jésus ! Man !
Ross vient de crier.
Il se bat avec le manche alors que l’avion penche de tous les cotés. Je regarde dehors, les hélices géantes tournent à une vitesse vertigineuse à quelques centimètres du sol. La vitesse affichée au badin est inferieure a celle du décollage. Il n’a jamais annoncé le « Gear up ! ».
Tout l’appareil vibre transmettant ses tremblements à mes propres intestins. Ross lute à coups de corrections rapides et fermes sur les commandes. Apres quelques secondes d’angoisse, le sol s’éloigne et nous volons dans un air pur et calme.
Je n’ose pas me retourner vers lui, mais je sais que tôt ou tard, je dois.
Je ne trouve pas le moindre mot d’excuse. Je me tasse dans mon siège. Je me ratatine. Je viens de mettre en danger l’avion et tous ses occupants. Je comprendrais que Ross sorte son flingue et me mette une balle dans la tête. Il me soulagerait.
Ross essuie une perle de sueur qui coulait sur son visage puis il se retourne calmement vers moi. Il n’a aucune lueur de colère ou même de reproche dans son regard. Il me dit tout simplement : « si tu refais ça encore, je te retire de mon testament ».
Comparatif silhouette DC-1 DC-2 DC-3
A suivre…