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USAF Boeing 377 – Une leçon de courage au-dessus du Pacifique !

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Survenue il y a cinquante ans, cette histoire reste jusqu’à nos jours une leçon de courage et d’airmanship. Elle montre des pilotes déterminés face à un avion qui leur invente des problèmes de plus en plus graves en plein nuit, en plein milieu de l’océan Pacifique. A cette succession d’avaries correspond une extraordinaire série de décisions rapides et adaptées.

Après la Seconde Guerre Mondiale, Boeing sort les plans de ses bombardiers B-50 et B-29 et décide de lancer un avion civil sûr et confortable. Des recettes qui ont fait leurs preuves sont reprises et le Boeing 377 voit le jour en été 1947. Un peu plus grand qu’un Airbus A320, cet appareil était capable de transporter une centaine de passagers dans des conditions de confort largement supérieures à ce qu’on rencontre aujourd’hui. Les passagers disposaient de bars, de salons et de couchettes pour se reposer durant les longs vols à un peu moins de 500 km/h. Jusqu’à la sortie du Boeing 707, il restera comme un avion de référence pour les longues distances.

Boeing 377 Stratocruiser
Les passagers avaient accès à deux ponts par un escalier en colimaçon qu’on retrouve sur le Boeing 747 qui sort en 1969.
 

 

Le Boeing 377 avait 4 moteurs à pistons Pratt & Whitney R-4360. Chacun avait 28 cylindres distribués sur 4 étoiles décalées pour permettre un bon refroidissement. Avec 71.4 litres de cylindrée, chaque moteur était capable d’envoyer 4300 chevaux vapeur dans son arbre hélice. Un turbo entrainé à 6.374 fois la vitesse du moteur boostait la puissance. En même temps, un réducteur entrainait l’hélice à environ un tiers de la vitesse du moteur.

 


Moteur en étoile à 28 cylindres
Moteur P&W R-4360 Wasp Major. Ses 71.4 litres de cylindrée font 4360 pouces cubes (cubic inches), d’où le nom.
 

 

Dès le début de l’exploitation, les moteurs se montrent très capricieux. Quand un avion passe la nuit au parking, l’huile du carter central descend vers les pistons inférieurs. Si les segments ne sont pas parfaits, elle coule même dans les énormes chambres de combustion. Au démarrage, les passagers restaient dubitatifs devant l’impressionnante fumée noire éjectée par les moteurs de leur avion.

Le 8 août 1957, un Boeing 377 décolle de Los Angeles pour Honolulu. Cette traversée vers le sud ouest dure plus de 10 heures pour 3700 km à parcourir au dessus de l’eau. Le vol est organisé sur l’US Navy qui donne le nom C-97 à ce même avion. En plus des 10 membres d’équipage, 57 passagers sont embarqués. Il s’agit de familles de militaires ainsi qu’une dizaine d’enfants en bas âge.

Une fois qu’il arrive à 16’000 pieds, l’appareil est stabilisé en croisière sous pilote automatique et le navigateur est le membre d’équipage qui travaille le plus. Le mécanicien de bord veille aux moteurs et aux paramètres de la cabine alors que le copilote surveille constamment ses instruments de vol.

L’appareil venait à peine de passe le point équi-temps quand tous les occupants furent alertés par un hurlement formidable provenant de la gauche. Sur son tableau, le mécanicien voit l’aiguille de l’indicateur de tours du moteur 1 s’emballer. A 3’800 tours par minute, les extrémités des pales de l’hélice dépassent la vitesse du son ! A chaque instant, l’hélice peut se rompre et venir déchirer la carlingue de l’avion.

Sur les avions à hélice actuels, une butée mécanique vient empêcher l’hélice de revenir vers un petit pas quand l’avion est en croisière. En effet, en cas de panne moteur, le premier mouvement de d’une hélice est de revenir vers le petit pas d’abord. Par la suite, un autre mécanisme l’envoi en drapeau. Ce mouvement de recul vers le petit pas n’est pas souhaitable. L’hélice passe en survitesse et crée un très fort moment de lacet. De plus, il faut lui faire faire un mouvement plus important pour la mettre en drapeau.

Boeing 377 Stratocruiser
Boeing 377 Stratocruiser. Avion de transport civil dérivé des
bombardiers B-50 et B-29 de la Seconde Guerre Mondiale.
Remarquez la taille des hélices et leur proximité.

Immédiatement, le commandant de bord réduit les manettes de gaz et de mélange du moteur numéro 1 puis appuie sur le bouton qui permet de mettre l’hélice en drapeau. En même temps, il tire sur le manche pour réduire la vitesse et demande au copilote de sortir les volets à la position 55%. Réduire la vitesse de l’avion est la seule manière disponible pour calmer l’hélice d’autant plus que celle-ci ne semble pas vouloir aller en drapeau. L’avion est si déséquilibré par la trainée générée, que les pilotes réduisent les gaz sur tous les moteurs. Pendant quelques temps, ils planent vers la mer tout en cherchant à résoudre le problème.

Alors que le hurlement continu à déchirer la nuit, la jauge de quantité d’huile du régulateur de l’hélice du moteur 1 tombe vers zéro. C’est une très mauvaise nouvelle. Ceci signifie qu’il n’est plus possible de mettre en drapeau cette hélice mais qu’il faudra vivre avec. La vitesse de l’avion baisse et il faut appliquer la pleine puissance sur les moteurs restants pour tenir en l’air. Avec cette configuration, il n’est pas possible d’atteindre la destination et il n’est pas possible de revenir en arrière. L’amerrissage devient la perspective la plus plausible.

Tout en veillant au fonctionnement des moteurs encore actifs, l’équipage décide de sacrifier le moteur numéro 1. Son huile de lubrification est coupée. En effet, ces moteurs consommaient de grandes quantités d’huile fournie par un réservoir externe. En coupant cette arrivée, il est possible de provoquer à terme le grippage du moteur. Une hélice qui ne tourne pas a moins de résistance qu’une hélice qui se laisse entrainer par le vent relatif.

Pendant que le moteur consomme son huile résiduelle, les passagers sont équipés pour un amerrissage. Au poste, le navigateur refait ses calculs : il ne sera pas possible d’atteindre la destination. Il manquera 30 minutes de carburant. Le commandant décide de s’approcher le plus possible de la destination et de poser l’avion à la mer quand il fera jour. Le copilote lance des messages de détresse à la radio HF.

Soudain, une forte explosion est entendue à gauche. Le moteur privé d’huile se grippe. Cependant, il bloque si brutalement que l’inertie de l’hélice casse l’arbre moteur et l’hélice se met à mouliner encore plus fort. Plus rien de ne l’empêche de tourner de plus en plus vite.

Le mécanicien se penche et de son hublot il voit le moyeu de l’hélice virer au rouge. La température est telle que cette pièce qui solidarise les pales commencent à fondre. D’une minute à l’autre, l’hélice folle va se casser.

Le commandant de bord prend une décision absolument unique dans les annales. Il coupe le moteur numéro 2 et met son hélice en drapeau. L’avion ne tient presque plus en l’air mais le commande persiste et signe : il l’incline de 40 degré à droite, l’aile portant les moteurs 1 et 2 levée. Pour les passagers, il devient clair que l’avion est en perdition.

Une minute après, l’hélice du moteur 1 s’arrache et part brutalement sur la droite. Elle casse une pale du moteur 2 puis elle déchire le haut de la cabine ! Si le moteur 2 était en route, le déséquilibre provoqué par la perte de un mètre de pale aurait été suffisant pour générer des vibrations intenses qui auraient cassé l’aile. Si l’avion n’avait pas été incliné de 40 degrés, l’hélice massive aurait déchiré la carlingue de part en part.

 

 

Les précautions de l’équipage ont payé. Par contre, deux moteurs sont perdus du même coté. De plus, le moteur 1 prend feu et brûle comme une torche pendant 8 longues minutes avant de s’éteindre définitivement faute d’hydrocarbures.

L’avion est stabilisé vers 5’500 pieds te les pilotes peinent à le maintenir sur la trajectoire. Si l’un ou l’autre des moteurs restants montre le moindre signe de faiblesse, c’est le crash en plein milieu de l’océan. Le jour commence à se lever, révélant une immensité déserte dans toutes les directions.

Au sol et en l’air, les secours se préparent. Un autre avion de transport qui avait décollé de Californie une heure avant le Boeing 377 fait demi-tour et se met à sa recherche pour l’intercepter et l’escorter aussi loin que possible.

La première bonne nouvelle de la journée est annoncée par le navigateur : l’avion vole plus lentement et il a deux moteurs en moins. L’un dans l’autre, la consommation par unité de distance est légèrement plus faible et il y a une chance encore d’atteindre l’archipel Hawaii. Pour se donner toutes les chances, l’équipage ouvre une porte de l’appareil et tout ce qui n’est pas vital est jeté par-dessus bord. Le courrier, le fret, les bagages, les effets personnels passent à la mer sans la moindre plainte de la part des passagers. Par contre, l’ouverture de la porte provoque une trainée supplémentaire et l’avion qui n’a pas assez d’énergie commence à perdre de l’altitude. Il est seulement à 50 pieds quand la porte est refermée enfin.

L’appareil reprend un peu d’altitude et la vitesse s’améliore. Le navigateur vient avec une nouvelle estimation qui fait froid au dos : le prochain aéroport, Hilo, est à 5:00 de vol mais il reste 5:04 de carburant. L’arrivée à destination semble de plus en plus compromise. Le moindre vent de face qui peut se lever condamnera l’avion à l’amerrissage.

Encore une fois, les pilotes ne se laissent pas abattre. Ils décident de voler en rase mottes pour profiter de l’effet sol. Ce dernier permet de réduire la trainée induite. A une envergure de hauteur, la trainée induite baisse de près de 14% et permet d’économiser du carburant. Par contre, la procédure n’est pas sans danger. L’avion a deux moteurs en panne et reste très difficilement contrôlable par les pilotes qui se relayent aux commandes. La moindre erreur et il peut impacter l’océan à plus de 1’000 kilomètres de sa destination. Après plusieurs essais, les pilotes découvrent que la meilleure hauteur de vol pour leur avion est de 100 à 125 pieds. Le Boeing 377 a une envergure de 143 pieds.

Les passagers restent tout le temps attachés à leurs sièges et en alerte. Ils savent qu’à cette hauteur, il n’y aura aucune alerte possible avant un éventuel amerrissage. Chacun doit se tenir prêt à se sauver à chaque minute.

Pour économiser encore du carburant, les pilotes coupent le système de conditionnement d’air. Quand le soleil se lève, la température de la cabine monte et dépasse les 43 degrés alors que l’air moite devient de plus en plus irrespirable. Les gilets de sauvetage tiennent chaud et font suer mais il n’est pas question de les enlever.

Les heures passent comme des siècles, puis les bonnes nouvelles arrivent. Un vent de dos se lève et donne à l’avion 37 km/h de plus. Puis, deux autre avions interceptent et escortent le Boeing 377 à distance. En cas d’amerrissage, plus de radeaux et d’équipement de secours pourront être mis à l’eau.

Tout à coup, des trainées blanches apparaissent à l’horizon. De nombreux navires de l’US Navy se positionnaient sur la route de Boeing endommagé pour lui prêter assistance. Un peu plus tard, la terre commence à se profiler à l’horizon. Dans l’avion, c’est le soulagement pour tout le monde.

Après avoir gagné un peu d’altitude, l’appareil se met en approche directe sur une piste de 2’000 mètres. Les volets sont sortis, la vitesse est réduite puis le copilote descend le levier du train d’atterrissage. Une première lampe verte s’allume, puis une deuxième et c’est tout. La journée n’est pas encore terminée ! Le train d’atterrissage principal gauche ne sort pas.
– Tu as assez de fuel pour faire une remise de gaz, annonce le mécanicien de bord

Le commandant de bord hésite un instant. Son envie de finir ce cauchemar est très forte, mais il n’a pas sauvé l’avion des flots pour venir l’écraser sur la piste avec une perte probable de vies humaines. Il prend les manettes des moteurs restants et les pousse en avant. Le copilote rentre le train d’atterrissage et l’appareil survole l’aéroport et reprend de l’altitude en s’éloignant.

 


Remise de gaz N-2 Boeing 377
Photo prise depuis le sol lors de la remise des gaz sur Hilo. Il manque 1 mètre d’une pale du moteur 2 et toute l’hélice du moteur 1.
 

 

Les mécaniciens se battent avec le système de sortie de secours du train d’atterrissage. Le moteur 2 qui abrite le logement du train est tordu et la trappe ne s’ouvre pas. Sous leurs efforts, elle est arrachée et le train est sorti et verrouillé en position sûre. Quelques minutes plus tard, l’avion fait un très joli atterrissage sur la piste. Il restait 30 minutes de carburant. Jamais un avion de ligne n’était revenu d’aussi loin.

3 COMMENTS

    • Oui étonnante similitude entre les histoires, de la à penser a une légende aérienne remodelée: Je ne trouve aucune trace de cette histoire de B377 en langue anglaise; c’est bizarre tout de même…

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