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Tuninter vol 1153 – Panne Sèche au Dessus de la Mer

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Le 6 août 2005, une erreur d’installation transforma le vol Tuninter 1153 en cauchemar. Chaque été, de nombreuses petites compagnies aériennes réalisent des vols charter bon marché entre l’Europe et des destinations balnéaires situées au Maroc, en Tunisie ou en Egypte. Chaque incident survenant dans ce contexte suscite, à tort ou à raison, de nombreuses critiques des transporteurs low cost. Ce débat peut parfois passer à coté des vrais problèmes. Certains systèmes ont une mauvaise conception et peuvent conduire à des erreurs de maintenance quelque soient, par ailleurs, les prix proposés au consommateur final.

Comme tous les constructeurs, l’entreprise Franco-italienne ATR travaille sur la standardisation de ses équipements. Il s’agit de concevoir des pièces semblables, sinon identiques, qui pourraient être installées sur différents modèles d’avions. Ceci permet de réduire les coûts de maintenance et de formation tout en réduisant les possibilités d’erreurs ou de mauvais usage. Même si elle n’est pas fondamentalement mauvaise, cette approche ne pourrait contribuer à améliorer la sécurité que si les constructeurs veillent à ce qu’il soit impossible de mettre en place des composants sur un avion pour lesquels ils n’ont pas été conçus. Une simple étiquette ou un mode d’emploi portant des avertissements ne peuvent pas prémunir contre un usage non conforme sur le long terme. Seule une impossibilité physique d’interchanger les pièces peut représenter un garde fou suffisant.

Les ATR modèle 42 et 72 se ressemblent comme deux gout-tes d’eau bien que le dernier soit un peu plus grand. Les deux appareils sont appréciés par les compagnies régionales à cause leurs bonnes performances sur des pistes courtes et terrains difficiles. L’ATR-72-202 peut transporter jusqu’à 74 passagers sur près de 1’600 kilomètres. Chaque aile dispose d’un réservoir capable de contenir 2’500 kilogrammes de Jet A1. Chaque réservoir alimente un turbopropulseur Pratt & Whitney de 1’610 kW.

Avant chaque départ, les pilotes vérifient la quantité de carburant qui s’affiche sur un instrument digital installé dans le cockpit. Il n’y a pas d’inspection visuelle ou de mesure directe.

 


Indicateur de quantité de carburant ATR-72
 

 

Dans chaque réservoir, sont placées des sondes qui sont en fait des condensateurs électriques. Leur capacité varie en fonction de la hauteur de carburant entre leurs armatures. La valeur mesurée est envoyée à un appareil qui se trouve dans le cockpit. Celui-ci utilise un algorithme spécifique à chaque avion pour élaborer et afficher la quantité de carburant restante. Le calcul tient compte de plusieurs paramètres dont le nombre de sondes et la forme du réservoir

L’afficheur dispose également d’une alarme LO LVL qui se déclenche quand le niveau de carburant est trop bas. Malgré les apparences, cette alarme n’apporte pas une grande plus value en termes de sécurité. En effet, son mécanisme ne dis-pose pas de chemin redondant ou d’une autre source d’information que l’indicateur lui-même. Il s’agit d’un système simple qui surveille la valeur affichée et qui signale quand elle passe sous une certaine valeur.

La veille de l’accident, l’avion avait subi une maintenance qui avait conduit, entre autres, au remplacement de la jauge de carburant. Cependant, pour une raison encore inexpliquée, le technicien installa un indicateur Intertechnique P/N 749-158. C’est le modèle prévu pour ATR-42. On sait aujourd’hui que la compagnie Tuninter ne disposait que deux avions en tout et pour tout : un ATR-42 et un ATR-72. Il est probable que les mécaniciens avaient l’habitude d’intervertir certains équipements sans conséquences ou dans un cadre prévu par le constructeur. Cependant, la confusion des jauges mit en place une situation potentiellement catastrophique parce que les pilotes avaient sur leur afficheur une quantité de carburantsupérieure à la quantité réellement emportée. Dès qu’il quitte l’atelier, l’avion immatriculé TS-LBB est à la merci d’une panne sèche. Elle surviendra au bout du deuxième vol seulement.

 


Indicateur de quantité de carburant ATR-42
 

Une seule anomalie peut encore attirer l’attention d’un pilote ou d’un technicien : sur le nouvel indicateur, c’est la valeur 2’250 kilogrammes qui est gravé au-dessus de chaque petite fenêtre. L’ATR-42 étant plus petit, il transporte effectivement 500 kilogrammes de carburant en moins.

Le samedi 6 août 2005, le TS-LBB décolle de l’île Djerba, au sud de la Tunisie, pour son premier vol de la journée. Destination : Bari en Italie. Il transporte 1’255 kilogrammes de carburant au total, mais les pilotes ont une indication rassurante de 1’900 kilogrammes par réservoir.

A l’atterrissage, il reste 150 kilogrammes de carburant par réservoir. Autant dire que ce premier vol est déjà passé tout près de la catastrophe. En plus des 4 membres d’équipage, 35 passagers prennent place pour le vol 1153 qui rentre sur Djerba. Il s’agit surtout de jeunes vacanciers cherchant à passer des vacances au plus bas prix possible. Les pilotes font aussi ajouter 265 kilogrammes de carburant pour amener le total indiqué à 2’700 kilogrammes. En fait, l’appareil décollera avec 285 kilogrammes de fuel dans chaque réservoir. Cette quantité ne permet pas de faire les 1’000 kilomètres prévus.

L’avion décolle normalement et atteint rapidement son altitude de croisière de 23’000 pieds. Après avoir traversé le sud de l’Italie, il se met à survoler la Méditerranée au nord ne la Sicile. Soudain, le moteur droit s’arrête et son hélice se met en drapeau.

Pour les pilotes, il ne s’agit de rien d’autre qu’un désagrément. Ils entament une descente vers le niveau 170 qui est l’altitude maximale recommandée sur un seul moteur pour cet avion. Le contrôleur aérien en charge est informé et une diversion est initiée sur Palerme.

Alors que la descente est à peine entamée, le moteur gauche s’arrête à son tour transformant l’avion en planeur. Les pilotes tentent de nombreux démarrages sans succès. Les jauges indiquaient 900 kilogrammes de carburant dans chaque réservoir. En pratique, n’en restait plus une goutte.

L’avion perd de plus en plus d’altitude et rapidement les pilotes acquièrent la certitude qu’ils ne pourront pas atteindre Palerme. L’amerrissage est la seule solution possible. Grâce à un sang froid exemplaire, l’appareil est contrôlé de manière impeccable. Ceci prolonge la durée et la distance de plané et permet aux secours de s’organiser. La communication avec la tour de contrôle reste difficile. Les pilotes doivent répéter toutes les trente secondes qu’ils ne vont pas atteindre Palerme et qu’ils ont perdu les deux moteurs. A chaque appel, le copilote donne l’altitude restante.

A 4’000 pieds, les pilotes se rendent compte que le vent est fort. La tension monte d’un cran. Les échanges entre les pilotes sont rapides, voir vifs par moments. Au loin, ils repèrent un navire et infléchissent légèrement leur trajectoire pour l’atteindre. A 2’000 pieds, ils tentent encore une fois de redémarrer un moteur. A 1’100 pieds, ils contactent une dernière fois le contrôleur pour lui confirmer qu’ils s’apprêtent à amerrir pas loin d’un bateau.

Quelques secondes avant l’impact, le commandant de bord lance sur un ton résigné :
– Ok, c’est fini maintenant, puis à l’intention du copilote :
– Chokri prépare toi ! Chokri prépare toi !
– Je suis prêt ! Répond ce dernier avant que l’enregistrement CVR ne se termine.

A l’impact, l’avion se casse en trois parties. L’arrière et l’avant coulent à pic dans une zone où la profondeur est supérieure à 1’000 mètres. Grâce à aux réservoirs vides servant de flotteurs, la zone centrale reste à fleur de l’eau.

Les secours sont rapidement dépêchés et récupèrent vivantes 25 personnes sur les 39 occupants portés sur le plan de vol. Les autres sont soit disparus, soit retrouvés morts et dérivant dans les heures et les jours qui suivent. En Italie, l’opinion est unanime, c’est le carburant livré à Bari qui était contaminé. En aviation, quand deux éléments hautement fiables tombent en panne en même temps, la seule explication possible est la cause commune. Avant même l’arrivée des enquêteurs de l’ANSV n’arrivent, la citerne de carburant ayant livrée le TS-LBB est mise sous scellés.

Les rescapés racontent chacun leur version à la presse. Un des éléments récurrents est la surprise lorsque l’avion toucha la mer ! Pourtant, l’ATR avait plané pendant plus de 16 minutes avec des hélices arrêtées et les pales tournées dans le lit du vent. Les pilotes avaient averti plusieurs fois de l’imminence d’un amerrissage, mais comme souvent, de nombreuses barrières perturbent la communication.

Les passagers étaient tous de nationalité Italienne. L’équipage était composé de 2 pilotes et de 2 PNC tunisiens. Ces derniers parlent Arabe et Français couramment. Ils peuvent communiquer en Anglais, mais ne parlent pas un mot d’Italien. Trois minutes avant l’impact, le copilote relit sa check-list d’amerrissage (ditching). Le tout premier point est d’avertir les occupants en cabine. Il utilise le système d’adresse publique et lance exactement cette phrase :
– Préparez pour un emergency ditching !

L’annonce s’adresse surtout aux à l’hôtesse et au steward qui avaient déjà compris le problème depuis longtemps et demandé aux passagers de mettre les gilets de sauvetage. Ces derniers se mettent en place selon une procédure vaguement expliquée avant le décollage et à laquelle peu de personnes prêtent attention malheureusement. Certains passagers gonflent leurs gilets de sauvetage avant même l’amerrissage. L’un d’eux, fût assez chanceux pour le raconter fièrement plus tard. Si l’avion était resté intact et avait commencé à prendre l’eau, l’évacuation aurait été impossible pour ceux qui portaient des gilets gonflés d’avance.

Les pilotes, qui ont survécu au drame, donneront certainement d’importants éléments d’appréciation au sujet de cette enquête qui n’est pas encore terminée. Par ailleurs, moins d’un an avant le crash, Tuninter avait obtenu le label ISO 9001. C’est probablement sur cette base que les responsables tunisiens ont affirmé à tous ceux qui voulaient les entendre que la maintenance de la compagnie correspondait aux « normes internationales ». Comme si ces fameuses normes brandies à chaque désastre aérien permettent d’installer une jauge d’ATR 42 sur un ATR 72.

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