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Air Algérie vol 6289: Panne Moteur Non Gérée

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Tous les jours, quelque part dans le monde, un avion de ligne connaît une panne de moteur au décollage. Heureusement, tous les avions de transport public sont conçus pour supporter une telle panne sans issue catastrophique. Les bimoteurs sont les plus contraignants parce qu’ils perdent la moitié de leur puissance lors de ce genre d’avaries. Ils peuvent avoir un taux de montée de quelques centaines de pieds par minute à pleine charge avec le train d’atterrissage rentré.

Tous les pilotes de multimoteurs décollent avec la panne de moteur en arrière pensée. C’est l’incident le plus probable lors de cette phase du vol. Pour que les bons réflexes soient dans la mémoire à court terme de tout le monde, il y a un briefing qui se fait avant chaque départ. Il tient compte de la météo, des spécificités du terrain et des conditions opérationnelles du jour. Il doit être concis et clair. En général, il ne concerne que la première minute du vol.

En général, l’accélération au décollage se divise en deux grands moments. La première phase débute au lâcher des freins. Tout problème important constaté pendant cette phase conduit à l’interruption du décollage. Elle se termine quand est atteinte une vitesse dite V1. Après cette vitesse, tout problème est traité comme une panne en vol. A V1, le pilote en fonction retire ses mains des manettes pour éviter qu’il ne les ramène vers idle par réflexe si une panne surgit.

Si un moteur s’arrête lors de la seconde phase, le décollage se poursuit. L’avion monte dans l’axe de piste, puis fait un tour et revient atterrir en priorité. Par contre, les premiers instants de la panne sont décisifs. Ils exigent une bonne coordination et une confiance totale entre les membres de l’équipage. Typiquement, le pilote en charge du décollage continue à piloter l’avion tout en adoptant sa technique aux circonstances. Un avion de ligne peut monter à plus de 2’000 pieds par minute lors d’un décollage normal. En cas de panne moteur, le taux de montée possible est de l’ordre de celui d’un monomoteur de tourisme, soit dans les 500 pieds par minute. Le pilote doit faire attention à ne pas laisser la vitesse baisser, comme il ne doit pas chercher à atteindre une vitesse supérieur à V2 ou V2+10 selon les compagnies. Les gestes de base consistent à pousser sur le manche pour aplanir la trajectoire de manière cohérente avec la puissance disponible, puis d’enfoncer le palonnier du coté du moteur sain pour contrer le moment de lacet due à la perte de symétrie de la poussée. Le pilote qui n’est pas aux commandes rentre immédiatement le train d’atterrissage pour diminuer la trainée de l’avion et augmenter les performances. Ces éléments sont rappelés durant le briefing. Une fois ces gestes simples réalisés, l’avion peut continuer à voler pendant des heures. A titre d’exemple, dans le cadre de sa certification, le Boeing 777ER vola pendant 6 heures et 29 minutes au dessus de l’océan sur un seul réacteur.

 

Boeing 777 panne moteur au décollage
Panne moteur au décollage sur Boeing 777 à pleine charge (Malaysia Airlines). Ne pose pas
le moindre souci à un équipage entrainé.
 

Le 6 mars 2003, le vol Air Algérie 6289 doit relier Tamanrasset à Alger avec une escale commerciale à Ghardaïa. L’avion utilisé est un 737-200 immatriculé 7T-VEZ. Cet appareil était l’une des machines les plus puissantes de la compagnie et c’était lui que l’on voyait sur les affiches collées dans les vitrines des agences Air Algérie. Délivré en 1983, ce Boeing commençait à dater et allait de moins en moins à l’étranger. Il restait sûr, mais le bruit de ses réacteurs JT8D-17A à faible taux de dilution devenait insupportable aux non-amateurs d’aviation.

Alors que les passagers sont à l’embarquement, peu avant 15 heures, quelque chose de grave se passe dans le cockpit. Le copilote, une femme de 44 ans, réalise toute seule la préparation du décollage. Le commandant de bord est absent et s’exclut totalement de la chaine du fonctionnement de l’avion. Il considère le décollage comme facile, et fort de ses 20 ans d’expérience, il n’accorde aucune attention à ce qui se passe autour de lui.

Pourtant, un départ de l’aéroport de Tamanrasset n’est jamais banal. Ce terrain situé au milieu du désert a tout de même une altitude de 1’377 mètres et il est entouré des reliefs de la chaine du Hoggar. La piste en service est généreuse, 3’600 mètres, mais elle est souvent fissurée sous les effets conjugués de la chaleur et du soleil de plomb. Le vol, qui part avec trois heures de retard, est bondé et l’avion proche de sa masse maximale. La carte de la compagnie indique qu’en cas de panne moteur au décollage de la piste 02, il faut monter dans l’axe jusqu’au VOR de TMS puis de faire un long virage à gauche pour s’éloigner au cap 239.

L’appareil commence à circuler avec 103 personnes à bord. C’est le copilote qui fera l’étape et le commandant de bord l’assiste. Aucun briefing n’est réalisé et l’éventualité d’une panne moteur jamais évoquée.

A 15:14, la puissance de décollage est affichée et l’avion commence à accélérer. Quelques secondes plus tard, il se cabre pour le décollage et à l’instant où les roues quittent le sol, une formidable explosion est entendue sur le coté gauche. A cet instant, le copilote demandait au commandant de rentrer le train d’atterrissage. Non seulement il ne le fera pas, mais il va lui prendre les commandes. Sur le CVR, le bout de dialogue suivant est entendu au moment de l’explosion :
Copilote : besm Allah, besm allah, besm allah, qu’est ce qui se passe ?
Commandant : Lâche ! Lâche !
Copilote : J’ai lâché ! J’ai lâché !
Commandant : Laisse ! Laisse !

Le copilote est totalement surprise par l’évènement et n’identifie par la panne. Au lieu de lui annoncer l’avarie moteur et de lui demander de tenir V2 tout en rentrant le train d’atterrissage, le commandant de bord saisit les commandes. D’après des tests réalisés en simulateur, il est très difficile à un pilote, même averti, de prendre les commandes à un instant critique. Pour cette raison, les règles stipulent que le pilote aux commandes continue à assurer sa fonction.

L’expérience en simulateur est la suivante : un décollage est réalisé en Boeing 737 puis au moment de la rotation, un réacteur est arrêté. A ce moment, on gèle le simulateur. Puis, on demande à des pilotes de prendre place et de gérer la panne dès que le simulateur sera relancé. Un pilote qui est aux commandes depuis le début de la panne a déjà une bonne sensation de ce que fait l’avion. Il peut le récupérer facilement. Par contre, un pilote qui n’avait pas les mains sur les commandes va exiger plusieurs secondes pour sentir l’avion. Or, au bout de ces secondes, l’avion est déjà dans une situation désespérée. Si le copilote avait pu garder les commandes, elle aurait eu bien plus de chances de sauver l’avion.

Le commandant n’a, par ailleurs, aucune confiance dans son copilote. Cette dernière fait partie d’une nouvelle génération arrivée aux commandes des avions sans sélection professionnelle. Dans l’Algérie des années 90, quand un responsable du personnel signait un contrat à un pilote, c’est qu’il rendait service à la personne qui l’avait recommandé. Il n’y avait ni candidats, ni sélection, ni dossiers. L’unique façon d’arriver aux commandes d’un avion de ligne était d’avoir un proche bien placé. Le reste, n’avait aucune espèce d’importance.

Ces situations déloyales créées au niveau du management, se répercutent sur le terrain par des pilotes de moins bonne qualité auxquels personne ne fait vraiment confiance. Quand arrivent des instants fatidiques pour lesquels les pilotes sont bien payés et longuement formés, le bon geste n’est pas réalisé. Malheureusement, ces configurations se retrouvent régulièrement en Afrique et contribuent fatalement à diminuer la sécurité des compagnies de ce continent.

Isolée et lâchant les commandes, le copilote ne sait plus trop quoi faire. Elle demande timidement :
– Gear-up ou bien ?

Traduisez : « est-ce que je rentre le train d’atterrissage ou est-ce que je le laisse sorti ? ». Les tables de performances de l’appareil sont on ne peut plus explicite. A charge maximale, si le train est sorti, le taux de montée théorique n’est que de 150 pieds par minute. De plus, cette valeur suppose une technique de pilotage parfaite que le moindre stress ou faux geste vient dégrader. En simulateur, ce taux variait entre +300 et -300 pieds par minute. En substance, il n’est pratiquement pas possible de voler un 737 en monomoteur avec le train d’atterrissage sorti.

Comme le commandant de bord ne répond pas à sa question, le copilote appelle la tour de contrôle :
– On a un petit problème, 6289

Il s’agit effectivement d’un petit problème, mais la mauvaise gestion va en faire un drame national. Plus urgent est à faire, le contrôleur peut très bien vivre sans être au courant de cette panne. Il y aura tout le temps de l’avertir quand le vol sera stabilisé.

 

Panne moteur gauche sur Boeing 767 au décollage à pleine charge (US Airways). Remarquez l’aileron droit levé et l’aileron gauche baissé. Le pilote braque le manche à droite pour contrer la tendance de l’avion à s’incliner sur la gauche, c’est-à-dire vers le moteur en panne. Le train d’atterrissage finit à peine de rentrer. Une fois équilibré par quelques gestes simples, l’avion peut voler pendant des heures sur un seul moteur.

 

Le commandant de bord est totalement surpris par la panne également. Il n’est même pas sûr qu’il ait pensé du tout avoir affaire à une panne de moteur. Une fois qu’il tient le manche,il garde la même assiette de montée, soit 18 degrés. Sur deux moteurs, ça donne +1’800 pieds par minute au variomètre. Sur un seul, c’est le décrochage assuré.

Le copilote comprend que le commandant est entrain de faire une bourde. Le stick shaker est entendu plusieurs fois et le GPWS envoi une alarme vocale « Don’t Sink ! ». Elle remet les mains sur les commandes.
– Lâche ! Enlève ta main ! s’écrie le commandant
– S’il vous plait ! répond le copilote d’une voix suppliante
– Enlève ta main ! Enlève ta main !

L’enregistrement se termine sur cette phrase. Alors qu’il avait atteint plus de 120 mètres de hauteur, l’équivalent d’un immeuble de 30 étages, l’appareil commence à revenir vers le sol de plus en plus vite. S’enfonçant dans le décrochage, il passe le seuil de piste et s’écrase contre le sol. Avant même qu’il ne s’arrête de glisser, il se transforme en boule de feu.

Sur les avions de ligne, au-dessus du train principal, il y a les réservoirs de carburant. Ceux-ci sont montés de sorte à ce que le train d’atterrissage, et pas la structure, supporte le maximum de leur poids lors de l’atterrissage. Quand un crash arrive le train sorti, le fut de celui-ci vient percer le réservoir et libérer le carburant. C’est comme donne un coup de masse sur un ciseau à froid posé sur une bouteille de gaz. L’avion s’embrase immédiatement.

L’accident ne fut pas classé comme survivable et la totalité des occupants du Boeing trouvèrent la mort sauf un.

 

 

Trois critères importants déterminent la survavibilité d’un crash. Il y a, tout d’abord, la valeur des forces de décélération. Si elle est trop élevée, elle devient incompatible avec la vie par lésion des organes internes. Le second élément, c’est l’intégrité des ceintures de sécurité, des harnais et des sièges. Le dernier est la conservation de l’espace habitable. Une violation importante de cet espace est incompatible avec la survavibilité du crash.

 

L’unique survivant était assis tout à l’arrière et sa ceinture n’était pas attachée lors de l’impact. Quand un moteur explose au décollage, il arrive souvent que des passagers détachent leurs ceintures de sécurité dans un réflexe de fuite. Dans ce cas, c’est ce qui sauva ce passager. Au lieu de subir une décélération violente, il fut projeté. Ceci absorba une partie de l’énergie et il eu la chance d’atterrir sur d’autres éléments amortissants. Cependant, il ne faut pas considérer l’absence de ceinture comme un élément favorable. Dans la majorité des cas, seuls ceux qui n’avaient pas ceinture sont tués ou gravement blessés. Lors de ce crash, le chef de cabine n’était pas attaché non plus. Alors qu’il était assis tout à l’arrière, il fut projeté vers l’avant et traversa les 36 mètres de l’avion pour aller s’écraser dans le cockpit.

L’accident du vol 6289, avec 102 victimes, est le plus grave jamais survenu en Algérie. Selon l’annexe 13 de la Convention de Chicago, une panne moteur n’est même pas un accident.

Voir aussi :
– Vidéo d’une panne moteur au décollage avec des pilotes correctement entrainés à bord.

 

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